Sur un nuage

Dans mon livre « 12 jours » consacré aux Championnats du monde de ski alpin, j’ai consacré une des histoires de médailles d’or à celle remportée par Tessa Worley au géant des Championnats du monde de 2013 à Schladming.

Au moment où Tessa Worley vient d’annoncer la fin de sa carrière, j’offre gratuitement à tout mon réseau la lecture de l’histoire de cette formidable conquête du titre de Championne du monde du géant par la skieuse du Grand Bornand. Pour celles et ceux qui voudraient se procurer le livre, vous trouverez en fin d’histoire un lien qui vous donne toutes les infos utiles.

Schladming, 14 février 2013

C’est le jour des géantes dans la station autrichienne de Schladming. 139 skieuses sont inscrites sur la Start List pour se disputer le titre de championne du monde sur la Planai. Il y a très longtemps qu’une skieuse française n’a pas remporté un géant aux Championnats du monde. Il faut en effet remonter au 10 février 1993 avec Carole Merle qui avait alors inscrit son nom en lettres d’or sur le palmarès des Mondiaux et fait résonner la marseillaise à Morioka Shizukuishi au Japon.

La meilleure chance tricolore est Tessa Worley. Le géant est sa discipline de prédilection. Les appuis qu’il faut prendre, les courbes, le timing, la vitesse : tout correspond au tempérament de la skieuse du Grand Bornand. Là où beaucoup de filles skient en géant avec un toucher de neige très doux, Tessa est dans l’énergie et dans la puissance.

Lors de la dernière édition des Mondiaux à Garmisch Partenkirchen, Tessa Worley a brillé. On se souvient certes de sa première manche ratée (19e place !) mais ensuite elle a mis le booster pour signer une superbe remontada ! Cet exploit lui permet de poser le pied sur la troisième marche du podium et de remporter ainsi sa première médaille mondiale dans une discipline individuelle.

Pour se préparer à ces Mondiaux de Schladming, les filles de l’équipe de France de ski alpin ont rendez-vous dans la petite station autrichienne de Innerkrems. Pour se rapprocher au mieux des conditions exigeantes qu’elles vont trouver sur la Planai, les entraîneurs tricolores tracent des parcours raides et glacés. « Nous étions entre nous, très concentrées sur ces mondiaux, sans avoir trop tôt le stress et l’euphorie de l’événement en ligne de mire », se souvient Tessa Worley.

Forte de ce stage de préparation somme toute très difficile, Tessa arrive à Schladming convaincue que la course de géant sera un combat. Même si elle est bien préparée, au fond d’elle-même, la skieuse Grand Bornandine pense que la médaille d’or est déjà un peu accrochée autour du cou de Tina Maze. Depuis le début de la saison, la skieuse Slovène est en effet au-dessus du lot. Tina Maze survole la discipline du géant et surclasse ses rivales. Sept géants, quatre victoires et à chaque course sur le podium ! Seules l’Allemande Viktoria Rebensburg, l’Autrichienne Anna Fenninger et l’Américaine Lindsey Von ont réussi à la devancer sur une course.

Depuis que Tina Maze est à Schladming, tous les observateurs ont pu vérifier son exceptionnel état de forme. Elle a d’ailleurs remporté l’or en Super-G, puis l’argent en super-combiné dans la première semaine de compétitions.

Du côté de Tessa Worley, sa dernière victoire en géant remonte à février 2012 dans la Principauté d’Andorre. A Soldeu-Grandvalira, la skieuse tricolore vire en tête à mi-parcours, puis réussit à contenir le retour de la Slovène Tina Maze en seconde manche. Depuis l’ouverture de cette saison de Championnats du monde, Tessa Worley monte à trois occasions sur le podium en géant : toujours sur la troisième marche, à Saint-Moritz, à Courchevel et à Semmering. Mais elle ne compte encore aucune victoire.

Qu’importe, les Championnats du monde sont et resteront toujours la course d’un jour, où tout peut arriver. On le vérifie d’ailleurs dès la première épreuve féminine au programme en première semaine à Schladming. Le Super-G est marqué par la grave blessure de la reine de la vitesse Lindsey Vonn qui chute à la réception d’un saut. Celle qui a remporté à Maribor le dernier géant disputé juste avant ces Mondiaux doit hélas déclarer forfait et mettre un terme à sa saison.

Le beau temps est au rendez-vous. Le ciel est bleu et le soleil va illuminer progressivement la Planai. Sur la reco matinale, Tessa Worley a de bonnes sensations sur cette piste impressionnante. Elle s’y sent à l’aise et n’est pas crispée par l’enjeu.

Habituellement, la skieuse tricolore fait deux passages d’échauffement. Aujourd’hui, elle décide de remonter pour en faire un troisième. « J’avais envie de mettre parfaitement en place mon ski avant de m’élancer. Parfois, il faut savoir s’écouter et avoir un bon ressenti pour être certaine d’être bien échauffée avant d’y aller », explique Tessa Worley. D’autant que le tirage au sort lui apporte une pression supplémentaire : elle hérite du dossard 1 ! C’est donc elle qui va avoir l’honneur d’ouvrir le bal des géantes sur la Planai, piste mythique, raide et verglacée.

La première manche démarre à 10h00. La neige est dure et la Planai n’est pas encore complétement baignée par le soleil. « Quand on s’élance avec le 1, on ne sait pas trop ce qu’on va trouver sous ses pieds. Rapidement, j’ai eu l’impression de me faire secouer, sans maîtriser ma course », résume Tessa Worley. Ses sensations ne sont pas au Top. « Je serais peut-être placée mais je ne n’imagine pas avoir fait la meilleure manche de la matinée », ajoute Tessa Worley. Et pourtant ! Anna Fenninger, Tina Maze, Kathrin Zettel et Viktoria Rebensburg, qui s’élancent derrière la skieuse tricolore, n’arrivent pas à allumer du vert sur cette première manche, que ce soit sur un intermédiaire ou sur la ligne d’arrivée.

Celle qu’on surnomme la puce vient, du haut de ses 1m58, de skier dans la catégorie des géantes du ski alpin. Derrière son chrono de référence de 1’04’’90, Tessa Worley a créé des écarts impressionnants dans cette première manche : 52 centièmes sur Zettel, 85 sur Fenninger, un peu plus d’une seconde sur Maze et un peu plus de deux secondes sur Rebensburg !

Reste maintenant à la skieuse tricolore de finir le travail car c’est toujours la seconde manche qui est la plus importante. Tracée par Günther Obkircher, l’entraîneur autrichien du groupe technique dames, le second run est moins tournant que le premier. Par contre, l’attente va être très longue pour les prétendantes à la victoire finale avant qu’elles ne s’élancent dans les 45 portes de cette seconde manche. En Championnats du monde, il faut en effet patienter une heure de plus avant le départ par rapport aux courses de Coupe du monde !

Tessa Worley doit rester très concentrée pour ne pas se laisser submerger par l’enjeu, et par son très bon résultat en première manche. Car dans une telle situation, on peut très vite cogiter. Elle a d’ailleurs demandé aux entraîneurs tricolores de ne pas prononcer le mot médaille pendant toute cette journée. Il devient tabou et Tessa leur précise qu’il sera grand temps d’en parler, après la course… Tout au long de cette longue journée, la skieuse tricolore est dans sa bulle. « Une bulle où je me protège du stress et de l’extérieur pour rester concentrée. Une bulle légère pour me permettre de faire ma course à 100% », précise Tessa Worley.

La seconde manche a démarré depuis plus de 30 minutes. C’est la Suissesse Lara Gut qui occupe le fauteuil de leader avant que les sept meilleures ne s’élancent. La première à déloger Lara Gut est la Suédoise Frida Hansdotter. Mikaela Shiffrin, qui s’élance juste derrière elle, échoue à deux minuscules centièmes. C’est au tour de la reine du géant de s’élancer. Tina Maze fait un début de course très moyen et à mi-parcours cède déjà beaucoup de son avance. Mais elle réagit dans la seconde partie du tracé. Celle qui a été intouchable depuis le début de saison est de retour. Tina Maze coupe la ligne avec 1’16 » d’avance sur la Suédoise Frida Hansdotter !

Les fans autrichiens venus très nombreux encourager leurs deux championnes favorites Anna Fenninger et Kathrin Zettel l’ont bien compris. Ils vont devoir donner de la voix pour pousser vers le bas de la Planai les deux skieuses autrichiennes. Anna Fenninger vient de s’élancer. Elle pointe en tête aux premier et deuxième inter. Mais elle s‘incline de 6 centièmes par rapport à Tina Maze et son finish exceptionnel. Avant dernière à s’élancer, Kathrin Zettel ne renouvelle pas sa performance de la première manche. Elle se classe à la troisième place provisoire à 42 centièmes de Maze.

Tessa Worley est dans le portillon. A un peu plus d’une minute de quelque chose qui peut être énorme. Peut-être car dans sa tête, elle sait que les autres filles ont très bien skié dans cette seconde manche et que la première place sera compliquée à conserver. Quand elle s’élance avec l’envie qu’on lui connaît, Tessa Worley compte 1’09 » d’avance sur Maze. A mi-parcours, ce sont des cris de joie du côté du Grand Bornand où beaucoup de monde suit la course derrière le petit écran.

Car Tessa a encore creusé l’écart sur le haut du parcours, qui est désormais de 1″46 ! Puis elle rentre dans le mur final. On a l’impression que rien ne peut lui arriver. On retient son souffle encore quelques secondes, très longues, avant que Tessa ne coupe la ligne. 1″12 d’avance sur Tina Maze !! Meilleur temps de la première manche, meilleur temps de la deuxième : Tessa Worley est championne du monde de géant. La skieuse grand bornandine peut désormais laisser retomber la pression « C’est fait. Je me suis sentie très soulagée car la journée a été intense et il fallait résister à cette pression. Je peux désormais laisser exploser ma joie et mon soulagement », précise Tessa Worley.

Elle se sent toute petite au cœur de cette aire d’arrivée de Schladming. C’est une véritable arène, il y a beaucoup de public et une grosse ambiance. « Cela me donne encore des frissons », se souvient Tessa Worley. Elle cherche très rapidement du regard son compagnon Julien Lizeroux et ses parents pour leur faire un coucou. Avant d’expliquer les raisons de sa formidable victoire : « Je n’ai jamais pensé à un tel scénario où j’arriverais avec autant d’avance. La piste et les conditions me correspondaient parfaitement et j’ai pu en tirer avantage ».

Sur le podium, Tessa Worley reçoit sa médaille d’or. Elle est entourée de Tina Maze, médaille d’argent et d’Anna Fenninger, médaille de bronze. Avant de quitter Schladming et rejoindre la station du Grand-Bornand où beaucoup de ses fans l’attendent pour célébrer son titre de championne du monde, Tessa va honorer une promesse. Juste après le stage de préparation, elle a en effet indiqué à son technicien Sylvain : « Si je fais une médaille, on s’offre des costumes traditionnels autrichiens, le Dirndl pour moi et le Lederhose pour toi ».

C’est une magnifique journée qui s’achève pour le ski français. Il n’y avait aucun nuage dans le ciel bleu de Schladming. Si, un ! Celui sur lequel s’est installée Tessa Worley pour devenir une géante du ski alpin mondial.

Podium du géant dames disputé à Schladming le 14 février 2013 dans le cadre des Championnats du monde de ski alpin