Il a été pendant quinze ans le préparateur physique de l’immense champion suisse Didier Cuche. Il accompagne aujourd’hui Justin Murisier et Camille Rast, deux skieurs suisses plus que prometteurs, qui sont revenus récemment au haut niveau après de sévères blessures.
TopSkiNews a rencontré Florian Lorimier, qui travaille dans l’ombre des pistes de la Coupe du monde et contribue à faire revenir le soleil sur les performances des championnes et champions du cirque blanc.
Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter et nous décrire tes activités ?
Depuis 1996, je suis préparateur physique. J’ai fait des études en Sciences du Sport à l’Université de Neuchâtel avant de suivre la formation d’entraîneur « Swiss Olympic » à la Haute école fédérale de sport à Macolin en Suisse. L’objectif de cette formation est de prendre en charge et d’encadrer des sportifs de très haut niveau, notamment ceux qui préparent les Jeux Olympiques.
Au tout début de ma carrière, j’ai travaillé dans le domaine de la physiologie de l’effort (tests et analyses de performance en laboratoire et dans le terrain) au service de coureurs à pied, de cyclistes et de skieurs de fond.
En 1997, j’ai rencontré Didier Cuche qui venait de se fracturer le tibia et péroné, 18 mois avant les Jeux Olympiques de Nagano. Didier m’a demandé de l’aider à « retrouver la forme ». C’est depuis cette rencontre avec lui que j’ai démarré mon vrai travail de préparateur physique avec l’encadrement complet d’un athlète.
Qui sont tes clients ? Swiss Ski ou les athlètes directement ?
En Suisse, il est devenu courant que chaque athlète contractualise et travaille avec son propre préparateur physique. Je suis donc engagé en privé avec des athlètes. Cette démarche a d’ailleurs été initiée en Suisse avec ma collaboration avec Didier Cuche.
Dans la vie des skieurs de haut niveau, il y a parfois des blessures. On parle alors de réathlétisation. Quel est ton rôle dans cette phase clé du retour vers le haut niveau ?
Après une blessure nécessitant ou pas une opération, il y a une première phase de mobilisation progressive suite à laquelle j’interviens le plus tôt possible pour aider l’athlète à retrouver ses capacités athlétiques et de haut niveau.
Par exemple, dans le cas d’une blessure au genou, l’ensemble du corps se « dé-s’entraîne » énormément et rapidement après une opération et la pause induite. Il faut donc remettre à niveau le genou pour qu’il retrouve son plein potentiel de performance. Le but n’est pas de préparer un genou pour la vie de tous les jours. Il faut reconstruire ce genou pour qu’il soit capable de descendre la Streif à Kitzbühel ou de faire un géant à Alta Badia !
Comme l’athlète a perdu dans sa blessure une grosse partie de ses capacités, Il faut également le reconditionner physiquement, sur l’ensemble de son corps.
Cette réathlétisation est devenue ma spécialité et une passion pour moi. C’est dans ce domaine que je fais une grande partie de mes recherches. J’y ai d’ailleurs acquis une excellente reconnaissance du monde médical.
Quelle est ta philosophie de travail avec les athlètes ?
J’essaye d’aller le plus loin possible dans l’individualisation des programmes d’entraînement que je pousse à l’extrême. Je développe avec l’athlète les paramètres de base que sont la force, l’explosivité, la vitesse et aussi l’endurance.
J’introduis également dans mes programmes exclusifs des paramètres supplémentaires au niveau du contrôle neuronale, du contrôle moteur.
J’essaye de trouver avec eux, au-delà de leurs qualités de force et d’explosivité, comment optimiser le contrôle nerveux et la coordination générale de leurs gestes.
J’accompagne vraiment l’athlète avec qui je travaille. Durant mes séances, je suis seul avec lui. J’essaye de profiter au maximum du temps qu’il me donne pour mesurer, analyser, adapter en fonction de son besoin.
Compte tenu de cette individualisation, je travaille avec très peu d’athlètes à la fois. Avec Didier Cuche, j’étais d’ailleurs occupé presque à plein temps.
Avec quels athlètes as-tu travaillé et pour quels sports ?
J’ai accompagné la préparation physique d’athlètes suisses dans beaucoup de sports individuels comme le ski alpin, le tennis, le snowboard cross, la moto freestyle, la moto cross et la moto sur circuit.
Parmi tous ces athlètes, je peux citer Didier Cuche, Fraenzi Aufdenblatten, Justin Murisier et Camille Rast pour le ski alpin, toute l’équipe suisse de Snowboardcross, Emilie Serain en ski cross, Mat Rebeaud pour la moto free style, Valentin Guillod en moto cross et Robin Cuche que j’accompagne actuellement dans la perspective des Jeux paralympiques de Pékin en 2022.
Tu as accompagné pendant 15 ans Didier Cuche dans sa préparation physique. Qu’as-tu retenu de ta collaboration avec lui ?
Lorsque j’ai commencé à travailler avec Didier Cuche, il m’a donné carte blanche pour contribuer à optimiser sa performance et que « la mayonnaise puisse prendre » comme on dit chez nous en Suisse ! On a fait un essai d’un an et j’ai ensuite piloté sa préparation physique jusqu’à la fin de sa carrière.
C’est une belle histoire de travail, d’amitié, de confiance et de fidélité. Nous étions très proches et j’ai été son confident pendant toute sa carrière.
On a réussi pendant ces 15 ans à toujours progresser et mieux se comprendre. Il y a eu des blessures avec notamment un croisé à 31 ans. Didier a toujours su revenir de ses blessures et se relever. Cela a construit une vraie estime pour lui en Suisse.
Didier était aussi un « cobaye » de luxe pour moi. On a fait beaucoup de recherches en neuro-physiologie, notamment avec l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne sur l’analyse du mouvement et son optimisation. On a beaucoup travaillé sur des plates-formes instables qui faisait appel à la recherche d’équilibre. Il y a 25 ans, tout le monde nous regardait avec des gros yeux et se demandait ce qu’on faisait. On a été un peu précurseur dans ce domaine ! Même si avec le recul, je peux dire qu’on a un peu abusé de ce type de travail.
Pour moi qui aime la préparation physique et la recherche, Didier était le champion parfait et notre collaboration a été une très belle histoire.
Quels ont été les plus beaux moments sportifs qui te reviennent en mémoire sur la carrière de Didier Cuche ?
J’en citerais trois. Tout d’abord, son premier titre de champion du monde en Super-G à Val d’Isère en 2009.
Ensuite, ses cinq victoires sur la Streif à Kitzbühel et notamment celle de 2011, inoubliable, avec presque une seconde d’avance sur Bode Miller.
Et enfin quelque chose qui est passé un peu inaperçu : son globe de cristal en géant en 2009. Parce que cela illustre sa performance et sa capacité à se remettre en question et à progresser dans des domaines où on n’attendait pas Didier. Il était plutôt considéré comme spécialiste de vitesse. Sportivement, pour moi, c’est un de ses plus beaux succès.
Quel type de collaboration as-tu mis en place avec Justin Murisier ?
Nous avons démarré notre collaboration en 2015. A cet instant de sa carrière, Justin sortait de deux opérations au genou, de deux opérations aux épaules et avait des soucis avec son dos !
On a pris les sujets les uns après les autres avec d’abord ses problèmes de dos. On travaille en permanence ensemble avec une grande confiance mutuelle.
En 2018 malheureusement Justin s’est blessé à nouveau au même genou. On est donc parti dans une nouvelle phase de réathlétisation après une nouvelle opération de ce genou (la 3e…). Aujourd’hui, on peut dire que Justin a récupéré quasiment 100% de sa capacité au niveau de son genou.
Les 5 premières années de ma collaboration avec Justin ont été quasiment consacrées à de la réathlétisation. Depuis 2020, on a basculé sur de la vraie préparation physique, si j’ose dire.
Une performance de sa part qui t’a vraiment fait plaisir ?
C’est évidemment son podium à Alta Badia juste avant Noël dernier. Avant sa blessure, il avait tourné autour avec une 4e, une 5e place.
Ce podium l’a vraiment libéré, c’était un peu comme un poids qu’il avait sur ses épaules !
Peux-tu me parler du travail de préparation physique que tu effectues avec la jeune prodige Camille Rast ?
C’est le chirurgien de Camille qui a pris contact avec moi pour me demander si je pouvais la prendre en charge juste après sa blessure. Dès la fin de l’opération, on a démarré sa réathlétisation avant de poursuivre, après sa saison blanche d’un programme de préparation physique.
Camille est jeune, c’est très facile de travailler avec elle. Elle a une maturité incroyable pour son âge (21 ans) et a cette capacité à se remettre en question, d’évoluer très rapidement pour toujours aller plus loin.
On progresse ensemble et c’est une sorte de chemin que nous faisons en commun.
« Florian a une approche assez caméléon grâce à laquelle il s’adapte à toutes situations. Il est là pour nous soutenir sur le plan physique mais aussi moral. C’est un rôle très important car il me permet de me sentir bien même dans une période difficile.
Pendant toute ma rééducation et maintenant encore, l’échange est presque quotidien pour ajuster de petits détails. Et comme on dit « ce sont les détails qui font la différence ».
Camille Rast
Je suppose que tu as été ravi par les deux manches de slalom de Camille à Flachau ?
Après sa première manche où elle finit 11e avec son dossard 57, je savais qu’elle allait skier sans aucune retenue dans la deuxième manche. Ça été bien sûr un super moment à vivre.
Mais il n’y a pas que le résultat qui compte. La voir sur les skis l’été dernier après son retour de blessure, sans douleurs, et voir son engagement sans crainte dans les piquets, cela a été pour moi presque autant émouvant que son slalom à Flachau.