A Val d’Isère, Victor Muffat-Jeandet replonge dans ses souvenirs les plus forts sur la Face de Bellevarde. Podium en géant en 2015, premiers points en 2012, renaissance en slalom en 2024 : un Critérium à cœur ouvert.
Val d’Isère, Jeudi en fin d’après-midi. Victor Muffat-Jeandet est le dernier à se présenter devant les micros du point presse de l’équipe de France de ski alpin. La veille, je l’avais prévenu que je souhaitais qu’il me raconte son moment le plus fort à Val d’Isère, sur cette Face de Bellevarde qu’il connaît par cœur.
Le choix n’était pas simple pour Victor. Le skieur avalin compte déjà 21 départs au Critérium, en géant comme en slalom. Une histoire longue, passionnante, jalonnée de hauts et de moins haut.
Il s’assoit puis il lâche, avec un regard malicieux : « Je vais tricher un peu. J’en n’ai pas choisi un, mais trois. Ça te va ? »
Le tourbillon d’une journée parfaite – Géant 2015
« Évidemment, mon moment le plus fort, c’est le podium de décembre 2015 », attaque Victor sans hésiter. Il replonge aussitôt dans le contexte. Il arrive alors des États-Unis, porté par son premier podium en géant à Beaver Creek. « J’étais sur un nuage complet », glisse-t-il. Son début de saison avait été moyen, mais cette course américaine sonne comme un tournant dans sa carrière. Une vraie réaction.
Mais maintenant Val d’Isère l’attend. Et là, tout change. « La Face de Bellevarde, c’est pas du tout Beaver Creek. Là-bas, c’est assez plat, c’est neige américaine. Ici, c’est très raide et glace. » Victor sait que ce contraste représente un défi énorme. Répondre sur les deux terrains, coup sur coup, serait une belle performance.

Ce jour-là, Victor skie sans complexe. Sa famille est là. Il signe le troisième temps de la première manche. Devant lui, Marcel Hirscher et Henrik Kristoffersen. Les écarts sont infimes.
La deuxième manche s’annonce folle. Thomas Fanara part juste devant lui. Il chute et termine dans les filets. Long arrêt de course. Victor attend dans la cabane. Il a le temps de penser…
Quand la course repart, il s’élance et coupe la ligne en deuxième position, derrière Felix Neureuther, installé dans le Hot Seat. Il reste encore deux gros calibres au départ. La quatrième place semble probable. Mais Kristoffersen sort à son tour, au même endroit que Fanara. Et là, tout bascule. « J’ai su que je serais sur le podium. Après, c’est le tourbillon. J’ai été embarqué dans un tourbillon ! »
L’avalanche d’émotions est immédiate. Les médias. Le podium au pied de la Face. La cérémonie du soir. Les obligations avec Salomon.
Victor enchaîne ses souvenirs de cette journée. Pas de temps mort. Pas d’attente. « Je fais ma première manche, je suis trois. J’enquille la deuxième, et je suis tout de suite sur le podium. T’es sur un nuage, tout est facile. »
Tout va trop vite. Le lendemain, Victor doit disputer le slalom, donc pas question de fêter ce podium… Avec le recul, il sait qu’il n’a pas pu savourer pleinement cette journée pourtant mémorable.
Victor enchaînera derrière Val d’Isère avec un autre podium à Alta Badia. « C’est presque le prime de ma carrière », confie-t-il.
Enfin exister en Coupe du monde – Géant 2012
Autre souvenir fort pour Victor : ses premiers points en Coupe du monde, sur la Face de Bellevarde, en décembre 2012. « À ce moment-là, je faisais beaucoup de Coupe du monde sans marquer aucun point ! » rappelle-t-il. Cette frustration pèse lourd.
Cette année-là, le Critérium propose un programme inversé : slalom le samedi, géant le dimanche. Victor compte sur le slalom, sa discipline de base. Mais il passe complètement à côté. « C’était censé être ma discipline principale ! » souffle-t-il encore.
Dans la discussion de débriefing, David Chastan ne ménage pas le jeune avalin. « Il m’a bien secoué, une bonne brasse », raconte Victor sans détour. Le message est clair : il faut réagir.
Le lendemain, il part sur le géant tout à l’orgueil, et un peu à l’égo. Il skie sans retenue, et arrache une 29e place. Assez pour marquer enfin ses premiers points. « C’était un très grand moment aussi », glisse-t-il, avec un sourire qui dit tout.
Se relever, chez soi – Slalom 2024
« Ma carrière a été souvent ponctué par des moments de réaction », souligne Victor. Des périodes difficiles. Puis des réactions, franches et déterminantes. Son troisième moment fort à Val d’Isère suit ce schéma.
Ce slalom de l’hiver dernier sur la Face occupe désormais une place à part dans sa mémoire.
Victor attendait cela depuis trois ans. Depuis sa 9e place à Madonna di Campiglio en décembre 2021 ! Entre-temps, il a enchaîné les blessures, les doutes, les saisons grises.
En slalom comme en géant. La confiance a vacillé. Et le dimanche précédent Val d’Isère, en quittant Beaver Creek, la claque tombe : « Le staff m’annonce que je ne serais pas retenu en géant sur la Face de Bellevarde. » Chez lui, à la maison. Une vraie gifle sportive.
Alors Victor repart au combat le dimanche. Il serre les dents, pousse la porte du portillon et attaque la première manche. Lorsqu’il coupe la ligne, il est 21e. Il sourit, salue la foule. Son regard file déjà vers la deuxième manche, dont Steven Amiez fermera le portillon.
Mais Victor est un peu crispé face à l’enjeu ce qui lui coûte du temps et l’empêche de faire un meilleur résultat. Il signe au final une solide 16e place. Il retrouve surtout des points en Coupe du monde et est le meilleur tricolore du jour.
L’émotion est palpable. Victor le sait : cette course marque une étape clé dans son retour vers le haut niveau.

Et si le meilleur restait à venir ?
Le point presse s’achève. Victor se lève, puis glisse avec un clin d’œil :
« J’espère que mon meilleur moment reste à venir. Si tu vois ce que je veux dire. »
« Effectivement, tu n’as pas encore fait de podium en slalom ici », réponds-je.
Sourires partagés. Rendez-vous dimanche, en début d’après-midi, pour peut-être écrire un nouveau chapitre dans la belle histoire de Victor.
A voir aussi :
[Le documentaire L’atterrissage consacré à ma carrière de Victor Muffat-Jeandet]











