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[Piste aux étoiles] Les beaux jours – et les belles soirées – de Sestrière

Ce week-end, la Coupe du Monde de ski féminine fait étape à Sestrière, en Italie, avec au programme deux slaloms géants et un slalom. L’occasion choisie pour Patrick Lang de revenir sur ses souvenirs liés à cette station mythique, où les plus grands événements de ski alpin se sont déroulés au cours des dernières décennies.

Avec parmi les figures marquantes qui ont fasconné son histoire, le légendaire Alberto Tomba, surnommé « Tomba la Bomba au lendemain de ses premiers triomphes en novembre 1987.

Photo copyright Sestrière SpA

Au nom de Sestrière, les souvenirs se bousculent dans ma tête… Pour y avoir passé des moments vraiment exceptionnels, des très bons mais aussi des moins bons, cette localité occupe une place à part dans ma vie et ma carrière.

J’en ai d’abord entendu parler quand la légendaire « Classique » de l’Arlberg-Kandahar y faisait épisodiquement étape à partir de 1951, avant de pouvoir m’y rendre des dizaines de fois après l’avènement de la Coupe du Monde en février 1967…

Sestrière, un lieu d’exception pour le ski de compétition
Une des très rares stations avec St. Moritz et Garmisch-Partenkirchen à avoir organisé les plus grands événements du ski alpin de compétition – Finales de la Coupe du Monde, Mondial FIS et Jeux Olympiques – Sestrière reste une destination un peu « exotique » pour le circuit mondial. Elle est également prisée des touristes qui apprécient le vaste domaine skiable de la « Voie Lactée », intégrant les pistes des stations voisines comme Sansicario ou Montgenèvre.

Photo copyright Sestrière SpA

Il faut noter que la plupart des plus grand(e)s champion(ne)s se sont imposé(e)s là-bas, de Zeno Colo en 1951 à Didier Cuche en 2009 chez les hommes en passant par Karl Schranz, Jean-Claude Killy, Pirmin Zurbriggen, Marc Girardelli, Ingemar Stenmark ou encore Antoine Dénériaz.

Au centre de notre photo, Alberto Tomba et Didier Cuche, tous deux vainqueurs de courses à Sestrière – Photo copyright Patrick Lang

Chez les femmes, la liste est encore plus longue avec ces dernières saisons Mikaela Shiffrin, Tessa Worley, Lindsey Vonn et aussi moins récemment Janica Kostelic, Anja Paerson, Renate Goetschl, sans oublier Marielle Goitschel ou Françoise Macchi !

Parmi les plus anciens instants forts restés inscrits dans ma mémoire figurent ma rage et mon désespoir au début des années 70, quand j’ai dû attendre plus de deux heures ma communication internationale en PCV pour l’agence de presse ACP à Paris afin de pouvoir enfin dicter mon article après la superbe victoire d’Henri Duvillard dans la descente de la « Banchetta » ! En y repensant, il est maintenant vraiment possible de bien se rendre compte des grandes améliorations techniques qui ont tellement facilité, voire révolutionné, le job de reporter international – sans parler bien sûr de la construction de superbes autoroutes ou de longs tunnels qui traversent maintenant les Alpes, évitant par exemple les transferts par trains dans le tunnel de l’Arlberg pour se rendre au Tyrol – ou celui du Gothard pour aller en Italie depuis Zurich !

Le moment fut triste lorsqu’un journaliste de Turin peu inspiré réussit en décembre 1971 à convaincre les organisateurs du Kandahar de se retirer de cette grande épreuve, qui avait pourtant tant fait pour promouvoir la station du Piémont. Il justifia cette décision en arguant que les responsables de la FIS, notamment son délégué technique, avaient tout fait pour saboter la descente masculine, finalement annulée en raison du manque de neige et des mauvaises conditions de sécurité, tandis que la course féminine, remportée par Annemarie Proell, put se dérouler.
Ce n’est que douze ans plus tard, que Sestrière accueillit à nouveau la Coupe du Monde, permettant à Maria Rosa Quario d’y gagner un de ses quatre slaloms sur le circuit – sa fille Federica triomphant en slalom géant dix-sept ans plus tard sur la sélective piste Giovanni Alberto Agnelli en réalisant le même temps total que la Slovaque Petra Vlhova !

Heureusement il reste de très beaux souvenirs. Plus proche de notre époque, j’aime me rappeler de la première victoire en décembre 1985 du Yougoslave Rok Petrovic alors coiffé d’un casque de protection blanc en caoutchouc produit par la société Conte of Florence pendant ce que tous ses rivaux portaient des bonnets de laine ou skiaient avec les cheveux au vent. Deux ans plus tôt, Rok y avait remporté le titre chez les juniors. Le skieur de Ljubljana, alors âgé de 19 ans, skiait avec une élégance remarquable. Il enleva par la suite le classement Coupe du Monde de slalom avec un total de cinq victoires.

La dernière, célébrée en mars 1986 lors des Finales à Heavenly Valley, en Californie, fut particulièrement brillante puisqu’il y devançait tous les meilleurs de l’époque comme Pirmin Zurbriggen, Ingemar Stenmark, Marc Girardelli ou Paolo de Chiesa !

Le champion Yougoslave Rok Petrovic (à droite sur notre photo) à l’occasion d’un reportage réalisé par Patrick Lang sur l’ile de Vela Luka en 1987 – Photo copyright Patrick Lang

Sa carrière fut malheureusement éphémère et prit déjà fin quelques années plus tard, Rok préférant terminer ses études. Il fut ensuite victime d’un accident de plongée au large de l’île de Vela Luka, en Dalmatie en septembre 2003 !

Une révélation nommée « Alberto Tomba »
Un autre moment de stupeur nous étreignait à nouveau deux ans plus tard lorsqu’un citadin peu connu du grand public, et né près de Bologne, domina tous les favoris en slalom – le grand Alberto Tomba, porteur ce jour-là du dossard 24 ! Parmi ses plus proches poursuivants figuraient pourtant des spécialistes avérés suédois comme l’ancien champion du monde Jonas Nilsson ou l’Autrichien Günther Mader ! Alberto, qui n’avait jusqu’alors jamais fait mieux que deux fois 6ème en slalom sur le circuit mondial, était plus réputé pour ses qualités de géantiste qui lui avaient permis de s’adjuger la médaille de bronze dans la spécialité lors des Mondiaux FIS à Crans Montana deux mois après avoir fini 2ème à Alta Badia.

Quand il triompha quelques jours plus tard aussi en slalom géant, en précédant nul autre que son grand héros Ingemar Stenmark, un petit vent de folie parcourut le public et ses « tifosi » du fameux Tomba Fan Club qui avait commencé à le suivre partout !

Ces triomphes inattendus lui valurent du coup de recevoir le surnom de « Tomba-la-Bomba » dans l’article de Serge Lang publié le lendemain par le quotidien genevois « La Suisse » aujourd’hui disparu ! Alberto, qui se voulait être « classe » sur les skis et dans la vie courante, n’a en vérité jamais apprécié cette appellation quelque peu « populaire » à son goût et pas compatible sans doute avec son statut de (quasi) citadin d’une ville aussi chic que Bologne où son père Franco gérait le magasin Hermès !

Tomba et Sestrière : une histoire d’amitié et de succès

Une relation amicale se développa ensuite entre Tomba et les dirigeants de Sestrière parmi lesquels figuraient évidemment les descendants du fondateur de la station, Giovanni Agnelli Senior, propriétaire de la société FIAT de Turin. Créée de toute pièce en quelques années, Sestrière peut s’enorgueillir d’avoir été longtemps la destination de montagne la plus moderne avec son architecture « avant-garde » et son long réseau de téléphériques emmenant rapidement les touristes vers les sommets des pistes.

Depuis son lancement au début des années 1930 avec l’aide du gouvernement de Benito Mussolini, la station avait toujours entretenu une forte tradition de ski de compétition. Le « Senatore Agnelli » créa même une équipe de coureurs régionaux privée et entraînée par un champion autrichien réputé, Hans Nobl. Les membres de la famille du roi d’Italie venaient souvent skier avec eux en hiver !

Photo copyright Scuderia Agnelli Sestrière

Plus tard, Umberto et Gianni Agnelli, qui éprouvaient ainsi beaucoup de sympathie pour Alberto ne continuaient cette tradition. La direction de la station supervisée par Turin encourageait l’organisation de grandes courses de ski tout en développant l’athlétisme de haut niveau en été, construisant même un superbe stade d’altitude.

Au cours de sa carrière, Alberto triomphait encore plusieurs fois sur les pentes de Sestrière, notamment lors du premier slalom nocturne organisé en décembre 1994 – l’installation de plusieurs milliers de lux coûtant alors l’équivalent de plusieurs millions d’euro actuels ! Trois ans plus tard, ce fut également en nocturne que le Norvégien Tom Stiansen enlevait la médaille d’or des Mondiaux de 1987 juste devant « Bastoune » (Sébastien Amiez) et Alberto finissant 3ème après une superbe remontée dans la seconde manche.

Alberto Tomba a remporté 6 victoires à Sestrière, 5 en slalom et 1 en géant – Photo copyright Sestrière World Cup

Tomba à Sestrière : une ferveur sans égale

Des milliers de supporters envahissaient évidemment la station pendant les courses de Tomba, les plus ardents étant les membres du « Tomba Club di Castel dei Britti » où réside la famille d’Alberto. Tôt le matin, bien avant le début de l’inspection du tracé par les coureurs, le groupe dirigé par l’ami Loris Righi s’installait au bord de l’aire d’arrivée avec ses banderoles et une table couverte de gâteaux et de galettes préparés par leur famille. Quand tout était prêt, ils commençaient à chanter leurs chansons à la gloire d’Alberto, la plus connue commençait par « Sai perchè mi batte il corazon, ho visto Alberto Tomba, ha vinto Alberto Tomba… »  Une belle amitié lie encore le triple champion olympique à cette association qui se réunit encore régulièrement avec lui pour partager leurs souvenirs. Loris a même transformé sa maison située près de Modena-Sud en véritable musée à la gloire de Tomba.

De nombreuses personnes formaient alors l’entourage du champion de Reggio-Emilia, y compris son manager Paolo Comellini, reconnaissable de loin avec son chapeau brun et l’éternel cigarillo dans ses lèvres, son chauffeur-garde du corps membres des Carabinieri, Fabio Cornacchia, son excellent serviceman Arturo Maiolani, son père Franco, son frère Marco ou sa sœur Alessia, ainsi que des amis de passage ravis de partager de bons moments avec lui…

Soirées festives à Sestrière

Tout ce beau monde – parfois ironiquement surnommé « Corte dei Miracoli » par les médisants – se retrouvait souvent le soir chez Armandone, le patron du restaurant Tre Rubinetti où étaient présentés des plats succulents servis avec des vins délicieux souvent choisis par Alberto en personne. Excellent connaisseur, il avait lui-même commencé une belle collection de bouteilles renommées, plus complètes encore que sa belle collection de montres !

Le Logo du restaurant Tre Robinetti, où l’entourage d’Alberto Tomba aimait à se retrouver à Sestrière.

L’un ou l’autre journaliste italien réussissait aussi à se glisser parmi la dizaine d’invités réunis autour d’une grande table, parmi eux son photographe attitré, Armando Trovati, et le sympathique collègue Carlo Coscia de la « Stampa » de Turin, un des plus grands journaux du pays. Carlo écrivait bien, mais il était surtout apprécié en fin de soirée pour ses talents de chanteur-guitariste. Après un bon repas et un délicieux verre de grappa locale « réserve du patron », il était alors d’usage de chanter en cœur des morceaux choisis – et cela souvent jusqu’à tard dans la nuit !

Ce cher Carlo nous a malheureusement quittés trop tôt, comme l’ami Comellini d’ailleurs, victime d’un ictus en novembre 2007 à seulement 67 ans…Franco Tomba en avait lui 86 en mai dernier quand il a quitté ce monde et sa très belle maison de Castel dei Britti où se promenaient autrefois des chevreuils dans le grand parc de la propriété qu’habite encore la « mamma » Maria Grazia.

En décembre prochain, notre cher Alberto fêtera son 60ème anniversaire… Ce n’est sans doute pas une perspective qui réjouit trop l’ancien leader mondial qui reste très populaire chez lui et auprès de ses anciens rivaux comme il me fut possible de le constater en janvier dernier à Madonna di Campiglio lors de la fête des 50 ans de la toute première victoire d’Ingemar Stenmark ! 

Pas sûr qu’il voudra célébrer cela en grande pompe – les temps ont vraiment changé.

Alberto Tomba (Debout, 3e rang depuis la droite) en janvier dernier à Madonna di Campiglio à l’occasion de la célébration des 50 ans de la première victoire d’Ingemar Stenmark – Photo copyright 3tre