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Océane Rubat : « Je suis là où j’ai envie d’être. »

A 32 ans, Océane Rubat est depuis 5 ans la kinésithérapeute du Groupe technique filles de l’équipe de France de ski alpin. Dans cette interview, elle raconte son parcours, les défis de son métier et son quotidien auprès des skieuses tricolores, entre moments de bonheur et difficultés.

Photo copyright Océane Rubat

Pouvez-vous nous raconter votre cheminement professionnel, notamment dans le domaine sportif et ensuite comme kinésithérapeute ?

Je suis d’origine Savoyarde, née à Saint-Marie-de-Cuines, une localité située à l’entrée de la Vallée de la Maurienne. J’ai pratiqué le ski de haut niveau au club de Saint-François-Longchamp, en courant en FIS dans les disciplines du géant et du slalom. Malheureusement, je me suis pas mal blessée, ce qui m’a permis de découvrir le métier de kinésithérapeute un peu par hasard.

Lorsque j’ai arrêté de skier, j’ai décidé de m’orienter assez naturellement vers des études de kinésithérapeute que j’ai effectuées à Bruxelles, en Belgique.

Comment êtes-vous ensuite arrivée à travailler pour l’équipe de France de ski alpin ?

À la fin de mes études, on m’a proposé de travailler à la Fédération Française de Ski, où à l’époque, il y avait des skieuses comme Tessa Worley, Coralie Frasse-Sombet, Nastasia Noens…, que je connaissais déjà.

Le chef du groupe à l’époque, Alberto Senigagliesi, cherchait un(e) kiné pour s’occuper du groupe technique féminin Coupe du monde. Il m’a proposé de me rencontrer pour en discuter, et j’ai accepté. Je suis venue faire un stage pour voir comment cela se passait, si cela me plaisait et si je pouvais m’intégrer au groupe. Finalement, j’ai décidé de me lancer dans cette aventure !

Aujourd’hui, cela fait cinq ans que je fais partie du groupe Coupe du monde technique filles de l’équipe de France. En parallèle, je travaille également dans un cabinet de kinés en Maurienne, ce qui me permet de compléter mon activité. Passer du groupe à mon cabinet, et vice-versa, c’est un rythme qui me plaît bien, même s’il est un peu atypique.
Je trouve cela plutôt sympa !

En quoi consiste précisément votre rôle de kinésithérapeute lors d’une course de Coupe du Monde ?

Ce qu’on me demande, c’est de faire en sorte que les filles soient au meilleur de leur potentiel physique pour les courses. Il s’agit d’une fonction paramédicale, et non médicale.

Les jours de course, je suis un peu multi-tâches. Le matin, je me rends au départ avec les athlètes. Je supervise leur échauffement, chacune d’entre elles ayant sa propre routine. Ensuite, je remonte avec elles jusqu’à la ligne de départ.

Océane Rubat avec Marie Lamure, avant le slalom de Levi – Photo copyright Agence Zoom/Christophe Pallot

Pendant la course, je reste dans la zone de départ. Si une athlète se blesse, je suis prête à descendre immédiatement pour intervenir.

Dans l’après-midi, mon rôle est de traiter les éventuels petits bobos de la matinée : soulager les tensions musculaires, améliorer la mobilité articulaire… Par exemple, avec Doriane Escané, qui revient actuellement d’une grave blessure (rupture du ligament croisé antérieur), je suis particulièrement vigilante au bon fonctionnement de son genou.

Au cours d’une course, quand survient une blessure, quel est votre rôle vis-à-vis de l’organisation et des secours mis en place ?

Cela dépend des pays et des courses. Sur toutes les courses, le matin, avant la première manche, on a un « doctor-meeting » pendant lequel les médecins mis en place par l’organisation nous expliquent comment les choses vont se dérouler et comment on pourra les rejoindre rapidement en bord de piste en fonction de la gravité de la blessure.

Si on a une athlète qui se blesse, on met en place le protocole qui a été décidé par le comité d’organisation de la course. Quand on arrive sur les lieux, et qu’un premier bilan a déjà été effectué, on me demande mon avis sur le choix de l’hôpital.

Je choisis le lieu de l’hôpital en fonction de ce qu’on me dit. Par exemple, l’année dernière, à Jasna, avec Doriane Escané et Carmen Haro, il y avait une suspicion de fracture. Je voulais qu’on puisse effectuer une IRM. J’ai donc choisi l’hôpital qui pouvait le réaliser.

Ensuite, je pars avec la fille blessée à l’hôpital et lorsque je reçois les résultats des examens, je contacte Stéphane Bulle, médecin en charge des équipes de France de ski, pour coordonner les étapes suivantes.

Quel a été votre meilleur moment comme kinésithérapeute depuis que vous exercez ce métier pour la FFS ?

Sans hésitation, mon moment le plus marquant en tant que kiné pour la FFS reste celui des Finales de Méribel en mars 2022, lorsque Tessa Worley a décroché le Globe de géant. Ce fut, à mes yeux, la plus belle des récompenses pour elle, une athlète exceptionnelle. C’était un rêve que tout le monde nourrissait depuis un certain temps, et voir ce rêve se concrétiser a été un moment unique.

Il y a d’autres instants que je peux évoquer. Par exemple, lorsque l’une de nos athlètes revient d’une blessure et, lors de sa première course après sa reprise, parvient à se qualifier en deuxième manche. Ou encore, ces moments où je constate une évolution psychologique importante chez une skieuse. Ce sont ces petites victoires, ces moments où je suis vraiment fière d’elles, qui me rappellent que le travail porte ses fruits. C’est dans ces instants que je me dis : « C’est super, les choses avancent dans la bonne direction. » Et c’est un véritable plaisir.

Le meilleur moment dans la carrière de kiné pour Océane Rubat : celui où Tessa Worley remporte le globe de cristal du géant à Méribel en mars 2022 – Photo copyright Agence Zoom/Paul Brechu.

Et votre moment le plus difficile ?

Le moment le plus difficile, c’était à Jasna, en Slovaquie, au début de l’année dernière. Doriane (Escané) s’élance sur le géant, pratiquant son meilleur ski, à son meilleur niveau, et elle chute… Je l’ai vu depuis le départ, et j’ai immédiatement craint pour son genou, malheureusement à juste titre. Arrivée en bas, elle s’est effondrée…

Dans ces moments-là, les athlètes ont besoin de se décharger, de se confier à quelqu’un. Les voir pleurer, c’est toujours une épreuve, on ne s’y fait jamais !

Et puis, juste derrière, c’est Carmen (Haro) qui se blesse également… Au moment où j’ai mis les deux filles dans l’ambulance – l’une avec une fracture, l’autre avec une déchirure des ligaments croisés – c’était vraiment difficile. C’était loin de chez nous, dans un pays où le système médical est compliqué et où la barrière de la langue est bien présente…

Ce fut une journée extrêmement dure, la pire de ma carrière. Les moments les plus difficiles sont ceux où il y a des blessures graves, où les filles se sentent désemparées. C’est ce qu’on a encore vécu récemment aux Championnats du monde de Saalbach, avec la blessure de Clarisse (Brèche). Ce sont des moments qui font vraiment mal, et qu’on préférerait ne jamais vivre.

Doriane Escané, quelques instants après sa blessure à Jasna en janvier 2024 – Photo copyright Agence Zoom/Paul Brechu.

Qu’avez-vous le plus appris durant vos cinq années passées en tant que kinésithérapeute au sein de l’équipe de France de ski alpin ?

J’ai appris à rester calme. C’est une faculté que l’on n’a pas autant besoin de maîtriser lorsqu’on est en cabinet, car on ne fait pas face aux mêmes aléas que lors des courses : des chutes, des imprévus, des crises d’angoisse que peuvent avoir les athlètes, ou encore des moments compliqués dans la vie des sportifs.

Dans les moments difficiles, les athlètes ont besoin de se reposer sur quelqu’un, de parler. Et comme les soins se font souvent en chambre, ce rôle incombe fréquemment aux kinésithérapeutes.

Il est donc primordial d’écouter, de rester calme et d’essayer de les rassurer. Tout cela, je l’ai appris sur le terrain, et ce sont ces aspects qui m’ont permis d’apprendre le plus au cours de ces cinq dernières années.


Qu’avez-vous retiré de votre passage à la Maison de la Performance durant les Jeux de Paris 2024 qui vous sera utile en Équipe de France ?

J’étais vraiment la plus jeune. Il y avait beaucoup de préparateurs et de coachs mentaux. J’ai beaucoup appris de chacun dans les domaines du médical, de l’extra-médical et du mental. Mais humainement, là où j’ai le plus appris, c’est sur moi-même !

J’ai échangé et travaillé beaucoup avec eux. Je pense que cela m’a bien aidée à évoluer, à rester calme, à essayer de voir le verre à moitié plein et à temporiser les situations pour éviter qu’elles deviennent anxiogènes, tant pour les filles que pour le reste du staff.

Cette présence à la Maison de la Performance m’a vraiment apporté une meilleure capacité à rester calme, à prendre du recul sur les situations et à ne pas me mettre en retrait. Cela m’a aussi permis d’analyser comment je pouvais évoluer sur certains traits de caractère, afin de transformer mes faiblesses en forces.

Océane Rubat avec Antoine Dupont, durant les Jeux de Paris 2024

Comment envisagez-vous votre avenir professionnel dans les prochaines années ?

On m’a déjà posé cette question, et je me l’a suis donc posée aussi… Pour l’instant, la vie que je mène me convient. Par le passé, je m’étais dit que j’aurais peut-être arrêté lorsque mon groupe de base (Tessa, Coralie, Nastasia…) avait mis un terme à leur carrière.

Mais il se trouve que les jeunes qui sont arrivées derrière m’ont vraiment plu. Elles m’ont demandé de rester, et je me suis dit : pourquoi pas ?

Aujourd’hui, je réalise que ça me manquerait de ne plus être en déplacement, de ne plus vivre toutes ces émotions. Que ce soit en cabinet ou avec l’équipe de France, j’exerce le même métier, mais il prend des formes complètement différentes. Les deux me manqueraient. Alors, pour l’instant, je suis bien là où je suis, et j’apprécie ce que je fais.

Après, peut-être que j’aurai envie de changer, de travailler avec un groupe masculin ou de me tourner vers un autre sport. Les Jeux de Paris 2024 m’ont ouvert les yeux sur d’autres horizons, notamment les sports collectifs, une véritable découverte pour moi.

Cela dit, le ski reste mon sport de cœur. Donc, pour l’instant, je suis là où j’ai envie d’être.

Océane Rubat (à gauche sur notre photo) avec Doriane Escané, à l’occasion du récent stage à Bielmonte en Italie pour préparer les courses d’Are.