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Daniel Yule, l’automne lucide d’un champion de slalom

A l’heure où la Coupe du monde de slalom s’ouvre à Levi, Top Ski News dresse le portrait d’un champion expérimenté, Daniel Yule, lucide et toujours habité par le gout du risque et l’ambition. 

À 32 ans, Daniel Yule ouvre un nouveau chapitre. Dix-neuf ans après avoir chaussé pour la première fois des skis Fischer, le Valaisan a décidé de tourner la page. Nouveau matériel, nouveau serviceman, nouvelles sensations. Neuf fois vainqueur en Coupe du monde, Yule s’avance vers l’hiver 2025-2026 avec un mélange de curiosité, d’humilité et de lucidité, celles d’un athlète conscient du temps qui passe, mais encore animé par la flamme.

Un choix de cœur et de tête

« Après dix-neuf ans auprès d’une marque, je pense que c’était le bon moment pour amener un nouvel influx », confie-t-il calmement. La décision de quitter Fischer, sa marque de toujours, ne s’est pas faite à la légère. « La saison dernière était en dessous de mes attentes. Quand on s’entraîne, c’est pour jouer devant, et ce n’était clairement pas le cas l’hiver dernier. À la fin de l’hiver, je me suis dit : je n’en rempile pas encore six comme ça. »

Changer de matériel, c’est accepter l’inconnu. Yule le sait mieux que personne. Le slalom, discipline de sensations et d’équilibres, ne pardonne rien. Mais c’est précisément ce qui l’a séduit : le goût du risque, celui de réapprendre.

« Il y a certaines conditions où je me suis adapté très vite à ce nouveau matériel, et d’autres où il faut encore quelques kilomètres pour trouver mes marques. Mais je vois ça comme un défi, pas comme un problème. »

Dans ses mots, aucun regret, seulement la satisfaction d’avoir osé. « Je suis conscient d’être plutôt dans l’automne de ma carrière », sourit-il. « Je n’avais pas envie de me retrouver dans trois ou quatre ans à me dire : est-ce que j’aurais dû changer ? Qu’est-ce qui se serait passé si, une fois dans ma carrière, j’avais essayé autre chose ? »

Rompre la routine

Changer de skis, c’est aussi rompre avec un équilibre humain. Pendant onze ans, Yule a travaillé main dans la main avec Nicolas, son fidèle technicien. Cette stabilité, presque fusionnelle, faisait partie de son cocon. Aujourd’hui, il partage ses journées d’entraînement avec Stéphano, son nouveau serviceman.

« Pendant des années, Nicolas savait déjà à quelle heure on allait se retrouver le lendemain. Maintenant, il faut réapprendre à communiquer, à se comprendre. Mais ça m’a redonné une certaine motivation. Réapprendre, c’est aussi se redécouvrir. »

On sent chez lui une forme d’apaisement. Cette transition n’est pas un rejet du passé, mais une respiration. Yule parle volontiers de ce « nouvel air » qui l’entoure, de la fraîcheur que procure l’inconfort. « C’est presque une nouvelle expérience pour moi. Je ne me sens peut-être plus comme à 20 ans, mais j’apprends encore beaucoup. »

Cette saison sera t-elle le souffle du renouveau pour Daniel Yule ? Photo copyright Agence Zoom

Retrouver le plaisir de jouer devant

L’hiver dernier, le Suisse a connu des courses en demi-teinte, des départs sans la conviction de pouvoir viser les tout premiers rangs. Une situation frustrante pour un compétiteur qui a grandi dans l’exigence du top niveau.

« Il y a eu des moments où je savais, au départ, que je n’étais pas en mesure d’aller chercher quelque chose tout devant. Et ça, c’est très dur à accepter. »

Cette année, son objectif est simple, presque intime : retrouver la confiance. « Je veux me présenter au départ avec la certitude que si je parviens à aligner deux excellentes manches, je peux jouer tout devant. C’est ce sentiment-là que je veux retrouver. »

À l’entendre, on comprend que le plaisir, plus que la performance, est redevenu le moteur. L’envie de vibrer, de sentir l’adrénaline d’un ski juste, d’un tracé maîtrisé. « Je ne suis pas le champion du monde du training, mais j’ai l’impression que tout va dans la bonne direction. »

En route vers Bormio

Dans un coin de sa tête, Daniel Yule garde un œil sur les Jeux olympiques de 2026 et le grand rendez-vous slalom à Bormio. Un rêve à portée d’hiver, qu’il aborde sans en faire une obsession.

« C’est la première fois que les Jeux d’hiver se déroulent en Europe depuis que je cours. Mes parents n’ont jamais pu assister à des Jeux olympiques. Ce serait quelque chose de très spécial. »

Mais avant de penser à l’Italie, il se concentre sur le chemin à parcourir pour y aller. « La meilleure préparation pour un grand événement, c’est une bonne saison avant. Les Mondiaux de Saalbach l’ont montré : les médaillés étaient déjà devant tout l’hiver. »

Dans une équipe de Suisse forte, toujours plus dense, avec une nouvelle génération affamée, Yule sait qu’il devra batailler pour garder sa place parmi les meilleurs. Une perspective qui, loin de l’inquiéter, semble le stimuler.

« On ne sait jamais… peut-être que ce nouveau matériel va prolonger ma carrière », glisse-t-il, un brin malicieux.

L’Italie réussie plutôt bien à Daniel Yule : il a remporté à trois reprises le slalom de Madonna di Campiglio en 2018, 2020 et 2022 – Photo copyright Agence Zoom)

Le sens de la transmission

Derrière son calme et son humour discret, Daniel Yule incarne une forme de sagesse rare dans un sport où la vitesse et la précision sont tout. Polyglotte, curieux, il s’intéresse à tout : au matériel, à la mécanique du geste, mais aussi au monde qui l’entoure. « En Suisse, l’allemand est partout dans le ski. L’avoir bien maîtrisé m’a beaucoup aidé à comprendre cet environnement », explique-t-il avec simplicité.

Sur les pistes comme en dehors, Yule parle désormais en vétéran. Mais chez lui, le mot ne sonne pas comme un fardeau. Il évoque une maturité choisie, une trajectoire assumée. « Quand on commence à parler de ce qui manque, c’est qu’on a déjà accompli de belles choses à côté. »

4 février 2024 : Daniel Yule accomplit l’inimaginable. 30e à l’issue de la première manche, il signe une fabuleuse remontada en deuxième manche
pour remporter le slalom de Chamonix Le Houches – Photo Agence Zoom/Millo Moravski

Au fond, ce nouveau chapitre n’est pas seulement technique ou sportif. Il raconte une quête de sens, celle d’un homme qui, après des années de haut niveau, veut encore se surprendre.

À l’aube de sa dix-huitième saison, Daniel Yule n’a plus rien à prouver — sauf peut-être à lui-même, qu’il peut encore savourer la joie simple de skier juste, fort et libre.

Article rédigé par Merlin Meignan, étudiant à EM Lyon Business School, et passionné de ski alpin.