En décembre 1960, un jeune skieur du Jura entre en équipe de France et déjoue tous les pronostics. Sur la piste de La Daille, Léo Lacroix signe pour sa toute première descente internationale une victoire totalement inattendue. Val d’Isère et son Critérium de la Première Neige assiste à un moment fondateur.
Une victoire surprise, authentique, qui ouvre l’un des parcours les plus marquants du ski alpin français des années 60.
Léo Lacroix garde un souvenir émouvant et précis de ce mois de décembre 1960 à Val d’Isère. « C’était ma première saison en Equipe de France. La toute première. » Il vient d’intégrer le collectif national après une préparation physique intense. « On s’entraînait à l’Institut National des Sports à Paris. Ensuite on est allé à Chamonix. » Comme chaque début d’hiver, les skieurs de l’équipe de France rejoignent Val d’Isère pour leurs premiers entraînements sur neige.
Un jeune slalomeur propulsé au plus haut niveau
Léo Lacroix n’a alors rien d’un descendeur. Il s’est fait connaître en slalom. En 1958, après son Brevet capacitaire aux Rousses, il part enseigner le ski à Valloire, qui manque alors de moniteurs. Cette mission lui offre aussi la chance de s’entraîner sur les pistes des futurs Championnats de France.
En s’élançant parmi les derniers avec le dossard 104, il crée la sensation et termine 4e du slalom. Deux ans plus tard, en février 1960, alors qu’il est encore à l’Armée, il devient champion de France de slalom à La Clusaz.
L’entrée en scène à Val d’Isère
Léo Lacroix arrive à Val d’Isère auréolé de son titre de champion de France de slalom. Le programme du Critérium 1960 prévoit deux courses : une descente le samedi 17 décembre et un slalom le dimanche 18 décembre. « C’était la première course de l’hiver. Ma première en Equipe de France », se souvient Léo Lacroix.
La course se dispute sur la piste de La Daille, qui n’a pas encore son nom mythique. « On ne parlait pas encore de la piste OK pour Oreiller-Killy. C’était la première fois qu’on l’utilisait en descente. » Elle prendra officiellement le nom Oreiller-Killy en 1966 après quelques aménagements, en hommage aux deux champions olympiques Henri Oreiller et Jean-Claude Killy, figures majeures de Val d’Isère.
Le jeune skieur jurassien profite d’une semaine idéale. « On a eu un temps magnifique. La piste était dure, mais pas glacée. À l’époque, on n’arrosait pas. Elle avait été très bien damée. C’était parfait pour moi. »

Un matériel imposé… et un choix décisif
Le matériel respecte les règles strictes du pool des fabricants. « On avait Rossignol ou Dynamic pour les skis. Pour les chaussures, Trappeur ou Heschung. Pour les gants, Gamay ou Racer. Pour les vêtements, Montant ou Fusalp. »
Pour la descente, les skis mesurent 2,20 mètres. Un vrai contraste pour Léo Lacroix, habitué à ses skis de la marque Vautour qui l’avaient mené au titre national en slalom. « J’avais gagné le slalom des championnats de France sur des skis Vautour. Mais en entrant en Equipe de France, on m’a dit de prendre le matériel du pool. Alors, j’ai pris des skis Rossignol. »
Léo doit alors choisir sa paire. « J’ai pris la dernière. Personne ne voulait cette paire. » Les descendeurs français la trouvaient trop dure. « Moi, ça m’allait très bien. C’était l’idéal pour moi. » Et ces descendeurs se nommaient Duvillard, Bozon, Périllat, Bonlieu, Gacon, Arpin… des athlètes plus qu’établis !
Un dossard lointain, une course parfaite
Sur la ligne de départ, Léo n’a rien d’un favori. « Je crois que j’avais le dossard 64. Je n’étais pas classé et je partais en 5e et dernière série. C’était ma toute première descente. » À l’époque, aucun moyen de connaître les temps avant de partir. « On ne savait rien avant de s’élancer. Il n’y avait pas la télévision comme aujourd’hui. »
Il se lance donc sans repères, avec pour seul atout une confiance grandissante. « Au fil des entraînements, ça allait de mieux en mieux. Je corrigeais mes fautes pour approcher de la ligne idéale. »
La piste de La Daille avait déjà ses légendes et ses dangers. « En haut, il y avait déjà la future Bosse à Collombin. Plus bas, la Bosse à Émile. On les appelle ainsi parce que Roland Collombin et Émile Viola sont tombés là. Émile s’était vraiment blessé. Alors, les bosses ont gardé leur nom. »
Léo franchit ces sections sans hésiter et signe une descente propre, fluide et rapide.
« Et ce jour-là, pour moi, ma course a été parfaite. J’ai gagné. », ajoute Léo Lacroix.
La stupeur dans la raquette d’arrivée de la Daille
À l’arrivée, la scène paraît presque irréelle. « Il n’y avait pratiquement plus personne. Les spectateurs attendaient les 30 premiers. Après, c’étaient les seconds plans… »
Les amis de Léo Lacroix, eux, sont là. « J’avais tous mes copains de l’équipe militaire. Perrot, Guédon… Ils m’ont porté en triomphe. Ils me disaient : “Ce n’est pas possible ! »
Le jeune skieur de Bois d’Amont vient de battre quelques-uns des meilleurs, Autrichiens, Suisses et Français. « L’Allemand Ludwig Leitner était 2e et Adrien Duvillard, le grand favori, 3e. Et Périllat était 4e. »
Mais le plus difficile l’attend à l’hôtel. « Le plus dur, c’était la presse. Monsieur Bonnet est venu deux fois me chercher dans ma chambre. Il me disait : “Léo, il faut descendre. La presse est là.” »
Léo tente de sortir, arrive en haut de l’escalier, puis se fige. « J’ai fait demi-tour. Je lui ai dit : “Non, non.” Je n’avais jamais parlé à une radio. Pour moi, ça a été terrible. »
Ce jour-là, Léo Lacroix, alors âgé de 23 ans, découvre la victoire et sa lumière brutale.
« Première descente. Première grande descente. Et je gagne ! »
Le lendemain, la reconnaissance des géants du ski mondial
Le week-end fou de Léo Lacroix se poursuit à Val d’Isère. Il ne se souvient plus vraiment de sa performance en slalom, la discipline qui l’avait révélé. « Je ne me souviens pas de mon résultat. Je n’avais pas été très bon. Ma victoire en descente m’avait un peu démotivé. Je n’avais pas dormi de la nuit. Je ne faisais que repenser à ma victoire. »
Lors de la reconnaissance du slalom, une surprise l’attend. Les grands champions du moment le reconnaissent et viennent le féliciter. « Pour moi, c’était un sacré bonheur d’être félicité par les meilleurs skieurs du monde. »
Une histoire simple, vraie et fondatrice. La première page du long livre à succès de la carrière de Léo Lacroix dont on peut extraire quelques faits marquants parmi les plus fondateurs :
- Il décroche en 1964 la médaille d’argent en descente aux Jeux olympiques d’Innsbruck, une performance exceptionnelle.
- Il s’illustre ensuite aux Mondiaux de Portillo en 1966, où il remporte deux médailles d’argent en descente et en combiné sur ses propres skis Lacroix conçus par son cousin Daniel.
- Et le 8 mars 1966, à Courchevel, devant 10 000 spectateurs, il signe une victoire retentissante en descente en battant les Autrichiens. Avec une vitesse moyenne de 102,240 km/h, il devient alors le skieur le plus rapide jamais chronométré dans une épreuve officielle — toujours sur ses propres skis.

Léo Lacroix gagnera une deuxième fois en 1966 la descente du Critérium de la Première Neige en devançant Jean-Claude Killy, champion du monde en titre. Cette success story s’est poursuivie la saison suivante pour Killy et Lacroix qui étaient les meilleurs descendeurs au monde.
Et Val d’Isère restera dès lors sa station fétiche, celle de son ami Jean-Claude Killy.
A voir : le documentaire « Léo Lacroix, itinéraire d’un descendeur«











