Championne du Monde junior de descente en 2013, Jenny Piot a mis fin à sa carrière de skieuse de haut niveau en janvier 2021. Elle s’est ensuite installée dans le Maine, aux États-Unis, pour entamer une seconde carrière de coach à la prestigieuse Carrabassett Valley Academy, où elle vient d’être nommée « Alpine Director ».
Jenny partage pour TopSkiNews son expérience réussie auprès des jeunes skieuses et skieurs américains.
À la fin de votre carrière en 2021, vous vous envolez vers les États-Unis. Racontez-nous comment vous avez décroché votre premier poste…
J’avais en tête depuis plusieurs années de devenir coach aux États-Unis une fois ma carrière de compétitrice terminée. J’en ai donc parlé avec mes entraîneurs de l’époque afin d’obtenir quelques contacts. J’en avais également de mon côté, notamment avec le chef de l’équipe américaine de vitesse, qui dirigeait alors le club d’Aspen. Il m’a proposé un poste pour le mois de novembre de l’année suivante. J’avais aussi repéré une opportunité en Californie.
C’est à ce moment-là qu’Alberto Senigagliesi, alors Directeur de l’Equipe de France féminine de ski, m’a parlé de la Carrabassett Valley Academy, dans le Maine, où il avait lui-même travaillé. Il pensait que cet endroit me plairait vraiment. J’ai donc pris contact avec la proviseure de l’école, qui m’a offert un billet d’avion pour venir découvrir l’académie. Je suis partie rapidement aux Etats-Unis en février 2021, et pendant deux mois et demi, j’ai eu l’occasion de cotoyer tous les groupes et toutes les catégories d’âge des jeunes de l’académie.
À la fin du mois d’avril, j’ai signé un contrat avec CVA. Le temps d’obtenir mon visa, j’ai officiellement commencé à y travailler en octobre 2021.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots et chiffres clés la Carrabassett Valley Academy ?
L’académie a été fondée en 1982. Elle est située à Sugarloaf Mountain, la plus grande station de ski du Maine (Des courses Coupe du Monde y ont eu lieu à la fin de la saison 1970/71).
Environ 120 élèves y suivent un cursus préparatoire à l’entrée à l’université, tout en s’entraînant à un niveau sportif élevé dans les domaines du ski alpin, du snowboard et du freeride. Nos classes sont volontairement petites en nombre d’élèves pour avoir un excellent suivi personnalisé et individualisé avec chaque professeur.
CVA accueille principalement des élèves originaires des États-Unis, mais reste ouverte aux profils internationaux. L’hiver prochain, nous accueillerons notamment des jeunes canadiens, bulgares et français. À ce jour, 12 Olympiens sont passés par CVA, parmi lesquels Bode Miller, Sam Morse et Kristen Clark pour le ski alpin, ainsi que Seth Westcott et Jeremy Jones en snowboard.
Le financement de CVA repose en partie sur des levées de fonds. La contribution annuelle demandée aux familles varie entre 20 000 et 60 000 dollars, en fonction de leur situation financière. CVA tient à ce que le coût ne soit jamais un obstacle pour ces jeunes sportifs, et met donc en place des solutions d’aide pour rendre cette opportunité plus facilement accessible.
Contrairement à d’autres établissements, nous sommes ouverts à tous les jeunes passionnés par le ski, motivés et ambitieux. L’hiver prochain, notre programme de ski alpin comptera 80 élèves, avec une belle diversité de profils et d’origine.
A la fin de leurs études, de nombreux diplômés poursuivent leurs études dans des universités affiliées à la NCAA et à l’USCSA, et certains rejoignent l’équipe nationale américaine de ski.

Quelles sont les fonctions que vous avez occupées successivement ?
J’ai commencé comme assistante coach du groupe FIS dames. La saison suivante, nous avons constitué un groupe FIS mixte. Il y avait alors deux chefs de groupe pour distinguer les filles des garçons, et j’ai pris en charge l’encadrement du groupe masculin. La troisième année, je suis devenue cheffe du groupe garçons.
L’année dernière, j’occupais toujours ce poste, avec un groupe de 18 athlètes, tout en étant également assistante du Programme Director. En mai dernier, j’ai été nommée Directeur Alpin de la Carrabassett Valley Academy.

En quoi consistent vos nouvelles responsabilités en tant que Directeur Alpin de CVA ?
Sous la responsabilité du proviseur, je supervise 80 athlètes sur les 120 que compte l’Académie, ainsi qu’un staff de 20 à 25 coachs. Nos élèves ont entre 12 et 19 ans.
Je fais le lien avec la station de ski pour organiser au quotidien les entraînements et les compétitions régionales. Cela implique de définir quotidiennement le programme d’entraînement de chaque groupe, en tirant parti du vaste domaine skiable de Sugarloaf Mountain. Je suis également en charge du recrutement des athlètes pour l’Académie.

Faut-il un diplôme spécifique pour entraîner le ski aux États-Unis ?
Ce ne sont pas les diplômes qui permettent de progresser, mais plutôt les compétences et la qualité du travail fourni. Cela dit, une formation de base en coaching est requise pour pouvoir encadrer les jeunes skieurs américains sur les stades de slalom.
À mon arrivée aux États-Unis, j’ai suivi cette formation, puis obtenu une équivalence pour mon diplôme ESF. Par la suite, j’ai également suivi une formation en préparation physique et en nutrition pour compléter mon profil de coach.
Quels sont vos objectifs dans ce nouveau rôle ?
Mon ambition est de continuer à augmenter le nombre d’athlètes qui intègrent des équipes universitaires de Division 1 et qui participent aux championnats nationaux. La saison dernière, quatre garçons et deux filles de notre programme se sont qualifiés pour les courses FIS NorthAm.
Je souhaite développer encore cette grande famille du ski qu’est la communauté des élèves, de leurs parents et des coachs de CVA. Et que l’on grandisse tous ensemble !
Comment votre emploi du temps va-t-il s’organiser durant la prochaine saison d’hiver ?
Mon emploi du temps suit celui de l’école. L’année scolaire débute le 1er septembre et se termine à la mi-juin. Au printemps et à l’automne, les élèves sont en cours le matin, puis suivent un programme d’entraînement sportif l’après-midi pendant environ trois heures.
En hiver, la matinée est consacrée au ski jusqu’à 12h30, puis les cours reprennent l’après-midi. Les premières compétitions débutent en décembre.
Nous prévoyons d’organiser quatre stages cette saison :
- En août, un stage au Chili à Corralco.
- À notre retour, nos meilleurs skieurs s’entraîneront en indoor aux Pays-Bas.
- En octobre, un stage est prévu en Suède.
- Enfin, un dernier stage en mai dans le Colorado permettra de tester le matériel et de travailler la technique.
Pendant ces stages, nos élèves poursuivent leurs études grâce à une platforme numérique qui leur donne accès à tous les cours avec des vidéos de leur professeurs et tous leurs devoirs.
Y a-t-il des différences notables pour le coaching par rapport à ce que vous avez connu en France ?
Durant ma carrière de skieuse de haut niveau, j’ai souvent eu l’occasion d’échanger avec les équipes américaines, ce qui m’a permis de mieux comprendre leur philosophie de notre sport, le ski alpin.
La façon d’entraîner et le coaching des athlètes y est très différent de ce que j’ai connu à certains moments : c’est bien plus positif. L’athlète est véritablement au centre du projet et il est respecté à part entière. Les coachs travaillent pour les athlètes et pas l’inverse !
J’adore cette liberté qu’offre la culture américaine !
Jenny Piot
Avec mes jeunes, je prends souvent l’exemple du sandwich : d’abord je leur dis ce qu’ils font bien, j’ajoute ce qui pourrait progresser et je termine toujours par un point positif !
C’est précisément ce que j’adore dans mon travail actuel : donner des conseils, sans jamais forcer un jeune à suivre une voie particulière. Les échanges que nous avons avec eux sont essentiels à leur construction. J’adore cette liberté qu’offre la culture américaine !

Quelle est la mentalité des jeunes coureurs dans ces collèges ski-études américains ?
Nous avons une grande diversité de profils parmi nos élèves. Certains ont beaucoup de talent et une vision claire de ce qu’ils veulent atteindre. Ils sont faciles à coacher. D’autres ont peut-être moins de talent naturel, mais ils aiment profondément le ski et ont une forte envie de progresser. Tous ont en commun cette motivation remarquable. Pour eux, le ski de compétition reste avant tout un plaisir. En fin de journée, quand on leur annonce que la séance est terminée, ils veulent souvent rester un peu plus — parce que le groupe en a envie, parce que l’énergie collective les porte.
D’ailleurs, la première question que je leur pose lors du recrutement, c’est : « Comment évolues-tu en groupe, et quelle place a le collectif pour toi ? »
Le ski est un sport individuel, bien sûr, mais le groupe fait toute la différence.
Comme le dit si bien le proverbe : « Seul on va vite, ensemble on va plus loin. »

Que serait-il possible d’importer chez nous en matière de méthode d’entrainement ?
Je me souviens qu’à mon époque j’étais rarement dans les groupes d’entraînement en même temps que mes camarades d’école. C’était dommage car c’était mes amis. Je peux voir aujourd’hui toute l’émulation que cela apporte dans nos groupes chez CVA.
La mise en place récente d’un groupe CNE par la FFS avec des groupes de jeunes significatifs qui pourront skier et étudier ensemble aura certainement un impact positif pour le ski français.
Jean-Claude Killy racontait qu’au début de sa carrière, il avait beaucoup appris des skieurs américains avec lesquels il s’était entraîné, notamment en observant leur décontraction et leur capacité à se surpasser dans les moments clés. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet, à la lumière de votre expérience avec de jeunes champions ?
L’image du sport aux États-Unis est très différente de celle que nous avons en France. Là-bas, être un sportif de haut niveau est aussi valorisé que d’intégrer une grande école. Le sport est véritablement reconnu, et les jeunes athlètes le ressentent : ils ont le sentiment de pratiquer une activité qui a du sens et de la valeur.
Ils évoluent dans un environnement de coaching positif, qui renforce leur confiance. À l’approche d’un moment décisif, au lieu de se dire « il faut absolument que je réussisse » et de se laisser submerger par la pression, leur état d’esprit est plutôt : « Je suis capable, je vais y arriver, c’est une occasion de montrer ce que je vaux. »
Cette posture mentale fait souvent toute la différence.
En quoi vos qualités et votre expérience de compétiteur (autodiscipline, courage, audace, persévérance) vous ont-elles aider dans vos fonctions chez CVA ?
Cela m’a été extrêmement utile. Lorsque j’ai quitté le circuit Coupe du monde, je connaissais parfaitement l’écosystème du ski : je maîtrisais la technique, la physiologie, les dynamiques de performance… J’avais développé de solides compétences dans tous ces domaines.
En revanche, organiser et budgétiser un stage à l’autre bout du monde pour 25 jeunes, encadrer des entraîneurs, gérer les déplacements, envoyer des factures aux parents… tout cela était totalement nouveau pour moi. Je n’avais absolument aucune expérience dans ces aspects organisationnels et logistiques.
Mais le sport de haut niveau m’a appris à ne jamais baisser les bras, à demander de l’aide quand je ne sais pas, à me fixer des objectifs clairs et surtout me donner à fond et travailler dur pour y arriver. C’est cette mentalité qui m’a permis d’apprendre vite, et je pense que c’est ce qui explique en grande partie la rapidité de mon évolution au sein de CVA.
Connaissez-vous des jeunes de CVA qui n’ont pas réussi à atteindre le Top niveau en ski et qui ont ensuite réussi leur vie professionnelle ?
Les jeunes que j’ai coachés ne sont pas encore pleinement engagés dans leur vie professionnelle, mais ce que je peux dire, c’est qu’à CVA, nous mettons tout en œuvre pour leur transmettre bien plus que des compétences sportives. On leur apprend à être autonomes, à devenir les véritables acteurs de leur parcours, à gérer un emploi du temps extrêmement exigeant entre les cours et les entraînements.
CVA, c’est aussi une communauté soudée d’anciens athlètes, que nous réunissons régulièrement lors de rencontres ou d’événements. Grâce à ces liens que nous entretenons, je sais que certains anciens élèves ont brillamment réussi : certains sont devenus pilotes de ligne, d’autres architectes ou ingénieurs.
Rêvez-vous un jour de devenir entraîneur en Coupe du monde ?
Ce n’est vraiment pas d’actualité aujourd’hui. Récemment, j’ai reçu des propositions pour entraîner dans les groupes B de l’équipe américaine, mais je les ai déclinées. Pour autant, je ne me fixe aucune limite pour l’avenir.
Actuellement, c’est très gratifiant pour moi d’aider des jeunes à réaliser leurs rêves de skier au sein d’une équipe universitaire.
C’est une vraie satisfaction de prendre en charge un jeune qui arrive à CVA sans avoir beaucoup skié, simplement motivé, mais sans encore tous les atouts en main pour atteindre le haut niveau.
Je suis fière de voir ces jeunes progresser comme ils le font chez CVA, et d’avoir des sourires au quotidien.
INTERVIEW CONCUE ET REALISEE PAR MICHEL ROCHE ET PATRICK LANG.