Ils s’appellent Lilian Pilloy, Ferdinand Gros, Éloïse Julliand et Titouan Olanié. Quatre entraîneurs venus de France pour partager leur savoir-faire dans les clubs de ski du Canada. Entre choc culturel, pédagogie, liberté et routes enneigées interminables, ils racontent comment on entraîne – et vit – le ski de l’autre côté de l’Atlantique.
Whistler : la découverte d’un autre monde du ski
Aujourd’hui directeur du club du Mont-Sainte-Anne, Lilian Pilloy se souviendra longtemps de son premier jour au Canada. « Mes FIS girls m’ont emmené directement en hors-piste… et ont sauté des barres rocheuses de huit mètres ! »
Arrivé à Whistler pour encadrer un groupe FIS féminin, il a compris très vite qu’il venait de changer d’univers : la montagne dans l’Ouest canadien est un immense terrain de jeu, et les jeunes osent tout.
Les trois autres expatriés font le même constat : tous ont été frappés, à leur manière, par la liberté et la créativité du ski canadien.
Comme le résume Ferdinand Gros, installé à Vancouver : « Les jeunes skient d’abord pour le plaisir, sans la pression du résultat. Cela change tout. »
Et parfois, même le vocabulaire réserve des surprises : « J’ai appris qu’on ne dit pas ski shoes mais boots, sinon on passe pour un idiot ! », plaisante-t-il.

De la France au Canada : parcours croisés
Avant de poser leurs valises en Amérique du Nord, chacun avait déjà un solide bagage.
Ferdinand Gros, diplômé d’État et entraîneur au Comité du Dauphiné, travaillait avec les meilleurs jeunes Français en courses FIS : « J’ai besoin d’un nouveau souffle et d’apprendre autre chose. »
Éloïse Julliand, monitrice ESF à Tignes et infirmière diplômée, partage le même goût du mouvement et a franchi le pas en fin d’année 2019 : « J’avais envie de voyager et d’exercer mon métier dans un autre pays. Le Canada me tentait après deux années d’études dans le Montana aux États-Unis. »
Le plus jeune du quatuor, Titouan Olanié, est arrivé au Canada presque par hasard : « Je suis venu finir mes études à Vancouver. Mon voisin bossait dans un club, et je me suis retrouvé à entraîner sans vraiment l’avoir planifié. »
Quant à Lilian Pilloy, après avoir entraîné des U12 à Ushuaia en Argentine, des U16 à Tignes et préparateur physique au pôle France à Albertville, il a choisi de « découvrir une autre culture de la montagne, d’autres méthodes ».
Aujourd’hui, tous dirigent ou entraînent dans des structures importantes : du Cypress Ski Club en Colombie-Britannique au Mont-Sainte-Anne au Québec, en passant par Alpine Canada Alpin.
Leurs fonctions varient, mais tous s’accordent sur un point : au Canada, les clubs sont de véritables entreprises sportives, souvent autonomes financièrement. Les stations ne leur accordent ni priorité ni tarif préférentiel — le ski de compétition y coûte cher, et l’implication des parents est exigée. Ils sont d’ailleurs souvent bénévoles sur l’organisation des courses.
Et arriver au Canada avec une ouverture d’esprit est essentiel.
Autre pays, autre pédagogie
Malgré leurs parcours variés, tous décrivent un système d’entraînement marqué par la bienveillance et la patience.
« Ici, il n’y a pas de sélection jusqu’aux U16, donc pas de stress de résultat », explique Ferdinand, désormais directeur sportif à Cypress. « On peut construire sans brûler les étapes. » Ce qui laisse plus de place à la patience dans le coaching, à la réflexion pour l’organisation et la planification d’une saison.Titouan, qui gère aujourd’hui le développement du Ski Cross pour Alpine Canada, va dans le même sens : « Au Canada, l’approche est plus ludique, individualisée, axée sur le plaisir et la confiance. En France, on est plus dans la rigueur technique et le cadre. »
Éloïse apprécie cette ouverture, tout en soulignant les défis : « Mes groupes sont très variés. Certains jeunes viennent pour performer, d’autres simplement pour s’amuser. Il faut adapter les séances sans frustrer personne. »
Et pour Lilian, la performance et la progression technique restent le plus important, mais le bien-être et le plaisir de l’athlète sont au centre des préoccupations. Cette philosophie se résume pour lui en une question simple : « Est-ce que l’athlète éprouve du plaisir ce matin ? Si la réponse est oui, alors le reste suivra. »

S’adapter à un nouveau rythme, à toutes les conditions
Quitter la France, c’est aussi apprendre à s’ajuster – à une langue, une culture, un climat.
« L’anglais a été mon premier challenge », avoue Ferdinand, « surtout pour communiquer des consignes précises. » Il a aussi appris à mettre plus de forme, être moins direct et franc dans les discussions avec les jeunes athlètes canadiens.Éloïse insiste sur l’organisation : « Trente-cinq jeunes, cinq assistants, des niveaux très variés, avec de grosses variations de présence et d’engagement… c’est une gymnastique quotidienne. »
À Vancouver, Titouan a découvert un autre type de défi : « Les routes. La plupart des courses FIS se déroulent en Alberta : quatorze heures de route, tous les dix jours ! Il faut aimer rouler et les journées interminables. Mais ces trajets forgent aussi la cohésion de l’équipe. »
Même constat pour Lilian : « En Colombie-Britannique, la neige et les distances compliquent tout. Mais c’est aussi ce qui forge l’esprit d’équipe. »
Les conditions d’entraînement y sont parfois déroutantes : pistes bondées, météo capricieuse, neige lourde ou poudreuse.
« On s’entraîne souvent dans des conditions que les Français jugeraient impossibles », sourit Éloïse. « Ici, les jeunes apprennent à s’adapter, à skier partout, tout le temps. », ce qui est essentiel là où il neige en moyenne un jour sur deux !
Un autre regard sur la performance
Au pays où le sport roi est le hockey, le ski de compétition reste une passion d’initiés. Les jeunes chaussent les skis très tôt, mais la plupart le font pour le plaisir, pas pour la performance.
« Le ski est beaucoup moins populaire qu’en France, ici tout le monde suit le hockey », note Éloïse.
Comme le souligne Ferdinand, « socialement, faire du ski compte ici, peu importe ton niveau ».
Mais la « culture racing » reste marginale, surtout en Colombie-Britannique, où les familles voient le ski comme un loisir exigeant plutôt qu’un tremplin vers le haut niveau.
Les courses européennes de Coupe du monde, diffusées la nuit au Canada, passent largement sous le radar.
« C’est difficile d’entretenir la passion quand les épreuves se courent pendant que tout le monde dort », constate Titouan.
Et beaucoup de jeunes athlètes vivent en ville, loin des stations : un vrai défi pour créer une culture ski solide.
Lilian résume avec justesse : « Ici, les stars s’appellent LeBron James ou Patrick Mahomes. Le ski reste un sport de passionnés, mais pratiqué avec une joie sincère. »
Cette distance avec la performance médiatisée a pourtant un effet bénéfique : elle libère les jeunes du stress du résultat et favorise une approche plus saine, centrée sur la progression et le plaisir.

Ce qu’ils importeraient en France
Cette expérience canadienne leur inspire aussi des idées qui pourraient être utiles au développement du ski hexagonal.
Ferdinand retient « la patience, la non-obligation de résultat jusqu’au niveau U16 et le système de formation continue des entraîneurs ». Et souligne qu’il faut être bienveillant avec les jeunes car peu d’entre eux deviendront des champions, donc inutile de « les casser » dans une période charnière de leur vie.
Éloïse insiste sur « l’utilisation de tous les terrains pour l’entraînement pour améliorer la capacité à s’adapter, même quand les conditions sont imparfaites ». Elle raconte avoir vu des entraînements de slalom… en pleine poudreuse !
Lilian cite « le très beau travail mené sur les parcours et le soin apporté au traçage, bien plus élaboré que dans les montagnes françaises ».
Et Titouan plaide pour « remettre l’athlète au centre de notre sport, avoir le courage de prendre du recul sur notre façon de coacher, innover et oser le changement. »
Tous mentionnent « la règle de 2 » considérant que cela serait une bonne chose de l’appliquer en France. Cette règle vise à protéger les athlètes – en particulier les mineurs et les personnes vulnérables – contre les abus (physiques, psychologiques, sexuels …) en s’assurant qu’aucun adulte ne se retrouve seul avec un athlète dans un contexte non supervisé.
Tous s’accordent également sur la nécessité de distinguer clairement le métier de moniteur de celui de coach, deux rôles souvent confondus en France.
« Ce ne sont pas les mêmes compétences, ni les mêmes missions », rappelle Ferdinand.
Pour tous, le message est clair : mieux vaut former des athlètes heureux que des champions brisés.

Des chemins différents, une même passion
Cinq ans, dix ans après leur départ, aucun des quatre n’envisage pour l’instant un retour en France.
Pour le moment bien installé à Vancouver, Titouan est actuellement engagé dans les démarches pour obtenir la citoyenneté canadienne : « Je n’ai pas prévu de partir, mais ne jamais dire jamais. Le Canada m’a beaucoup apporté, ici j’ai trouvé un vrai équilibre. »
Éloïse savoure un équilibre parfait entre passion et aventure : « Je me vois coacher encore longtemps. J’aime transmettre, voyager, découvrir d’autres cultures. »
Ferdinand, lui, avoue : « Si je rentre en France, ce serait pour faire autre chose que coacher. Le monde du ski en France est trop intense. » Et ajoute que « les sélections finissent par mettre sous tension les coachs, les athlètes et leurs parents ! »
Lilian reste fidèle à ce qui l’anime : « Le ski est mon métier et ma passion ». Très attaché au projet et aux athlètes qu’il encadre, il « pense retourner plus proche de l’entraînement dans les prochaines années. »
Tous soulignent qu’au Canada, la vie est très agréable et les gens très accueillants : meilleur équilibre entre travail et vie personnelle, moins de tension liée aux sélections, et une relation au sport « plus humaine ».

Pas à Mont-Tremblant, mais bien sur les pistes
Ironie du calendrier : alors que la Coupe du monde féminine fera halte à Mont-Tremblant les 6 et 7 décembre, aucun d’eux n’y sera. Et pour cause !
Ferdinand sera en stage avec ses U16 à Cypress, Titouan à Nakiska pour préparer les Nor-Am, Éloïse et Lilian lanceront la saison dans leur Club de Mont-Sainte-Anne, en supportant Justine Lamontagne issue du club MSA.
Tous occupés ailleurs, sur leurs pistes, au contact des jeunes qu’ils forment. Parce que pour eux, la vraie Coupe du monde, c’est chaque jour – dans le sourire d’un jeune qui progresse sur les skis !

LEURS FONCTIONS AUJOURD’HUI
Éloïse dirige le groupe U12 du Ski Club de Mont-Sainte-Anne depuis trois ans, au Québec. Elle encadre 35 jeunes skieurs et coordonne une équipe de 5 coachs assistants, dans un programme axé sur la progression technique et le plaisir de skier.
Ferdinand est l’entraîneur d’un groupe U16 au Cypress Ski Club, en Colombie-Britannique. Il est arrivé au Canada en 2019. Il entraîne 12 athlètes dans un club qui compte 240 jeunes, dont 220 en filière compétition et une vingtaine en freeride. Depuis cette saison, il occupe aussi le poste de directeur sportif du club.
Lilian est directeur du Club de ski du Mont-Sainte-Anne, l’un des plus dynamiques de l’Est canadien. Il gère 150 athlètes et 35 entraîneurs, pilote la politique technique du club, supervise l’organisation de compétitions nationales et internationales. Il va conduire dans les prochaines semaines l’homologation de la seule piste de vitesse du Québec.
Titouan est responsable du groupe développement Ski Cross pour l’équipe nationale canadienne. Il supervise le développement des jeunes talents à travers le pays et accompagne leurs parcours sur le circuit Nor-Am. Il est arrivé au Canada en 2016.











