A 42 ans, le vice-champion Olympique de descente Johan Clarey vient de mettre un terme à sa carrière sportive. Quelques heures après sa dernière descente disputée à l’occasion des Finales de Coupe du monde, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec Johan sur les hauteurs de Canillo en Principauté d’Andorre.
Suite à ta décision prise l’année dernière de poursuivre ta carrière cette saison, quel est le regard que tu portes aujourd’hui sur ce choix ?
Quand j’ai décidé de repartir pour une saison, je voulais le faire pour participer aux Championnats du monde en France. Pour moi c’était important, cela a vraiment motivé ma décision de refaire une saison pendant laquelle je voulais être encore performant, et surtout ne pas faire la saison de trop.
J’ai eu pas mal de stress pendant ma préparation en me demandant si j’étais encore dans le coup. C’était le cas aux entraînements, mais la course c’est différent avec la prise de risques. Et puis j’ai fait cette course à Lake Louise. Je me vois encore réussir cette 6e place sur cette première descente de la saison.
Cela m’a énormément soulagé parce que j’ai eu la confirmation que j’étais encore dans le coup. Cela m’a permis d’effectuer le reste de la saison comme je l’ai fait, avec ces 2 podiums à Val Gardena et Kitzbühel. Je finis 4e au classement de la Coupe du monde en descente.
C’est vraiment la sortie que je voulais faire.
Quelques mots sur Courchevel Méribel 2023…
J’aurais voulu faire des Championnats du monde un peu meilleur. Mais j’ai toujours eu des soucis sur cette piste, je ne l’ai jamais senti ! Elle ne me convenait pas mais j’ai quand même vécu des bons moments.
Dans quel état d’esprit as-tu clôturé ta saison ?
Physiquement, je me sens encore bien. Je serais encore capable de skier 1 ou 2 ans à très haut niveau. Mentalement, c’est différent. Je suis à la limite de basculer du mauvais côté. Le stress est vraiment quelque chose que je ne veux plus supporter.
J’adore l’entraînement, j’adore le ski mais les jours de course n’étaient plus du plaisir et étaient tellement compliqués que mentalement je suis soulagé.
Je suis absolument convaincu que c’est la bonne décision d’arrêter.
Est-ce que tu pourrais partager quelques moments de joie parmi les très nombreux que tu as vécu pendant ta carrière ?
C’est difficile car j’en ai eu beaucoup dans ma carrière. Ce sont toujours les moments les plus récents qu’on retient et ceux les plus lointains qu’on a tendance à oublier.
Alors dans l’ordre je vais d’abord mettre mon premier podium à Kitzbühel en 2017, partagé avec Valentin Giraud Moine. Cela a été un superbe moment. J’ai toujours rêvé de faire un bon résultat et le faire la première fois là-bas à Kitzbühel. Je suis 2e, puis Valentin me passe devant. On a passé un superbe moment de partage. Etre sur un podium avec un copain, c’est toujours extraordinaire. Le faire à Kitzbühel a été un moment de joie exceptionnel.
Le podium l’année dernière avec Blaise [Giezendanner], toujours à Kitzbühel, a été aussi un grand moment. Parce que Kitzbühel reste pour moi un endroit spécial. J’ai toujours été dans le partage et c’est bien de le faire avec des potes surtout sur un podium. Celui-là était extraordinaire.
Dans les deux cas, Valentin et Blaise ont vu ma course d’en haut et cela les a boosté. Quand Valentin voit que j’ai allumé du vert quasiment sur toute la Streif et que je termine 2e à un rien de Dominik Paris, il se dit qu’il est capable de le faire. Et pour Blaise c’est pareil. Je ne vais pas dire que c’est grâce à moi, mais je les ai pas mal inspiré. C’est une super fierté de les avoir vu claquer 2 trucs incroyables. C’était génial à vivre.
Il y a aussi les Jeux olympiques de Pékin. C’était l’objectif de ma saison et réussir ce résultat sur ma fin de carrière a été une apothéose. J’ai vu ma place en passant la ligne d’arrivée. Faire cette médaille d’argent a été juste incroyable. Cela a été un soulagement et une énorme explosion de joie.
J’ai aussi envie de rajouter un autre moment avec mon titre de vice-Champion du monde de Super-G à Are. J’ai toujours eu un peu plus de mal dans cette discipline donc faire une médaille aux Championnats du monde a été incroyable.
Tu as cotoyé ces 20 dernières années d’immenses champions. Est-ce que tu pourrais nous parler de quelques-uns d’entre eux ?
Effectivement, j’ai côtoyé pas mal de légendes toutes ces dernières années.
J’ai skié avec Hermann Maier qui a été un monument du ski alpin. J’ai le souvenir de Lake Louise pour ma première Coupe du monde. Je me retrouve à l’hôtel tout seul avec lui dans l’ascenseur. Il me dit bonjour à moi le petit jeune qui débarquait ! Il ne se souvient sans doute pas de ce moment, mais moi j’étais gêné comme tout. Me retrouver comme cela avec un monument de mon sport, c’est incroyable. J’ai pu faire quelques courses avec lui. Je trouve cela tellement incroyable.
Il y a aussi Bode Miller qui, dans un autre style, a été un immense personnage et une immense star du ski alpin. Je n’ai jamais vu un mec comme lui qui, partout où il allait, était adoré sur le circuit. Il était compliqué, controversé, très spécial, tout ce qu’on veut, mais restait toujours lui-même. Il a fait un bien fou au ski alpin. C’est le genre de personnage qui, par moment, manque à notre sport.
Avec Bode, il y a un moment qui me revient. A Chamonix, j’ai pris le télésiège pour monter au sommet de la Verte rien qu’avec lui. Il était capable de ne parler à personne pendant des journées, c’était difficile de savoir comment l’aborder. Sur ce télésiège, il a été très humain et on a parlé durant toute la montée de plein de choses : du ski, de la vie… C’est un moment qui m’a marqué !
D’avoir skié avec Hermann et Bode qui ont marqué l’histoire du ski, c’est juste quelque chose de fantastique.
Je vais citer aussi un contemporain, Marco Odermatt, qui est pour moi dans cette lignée de mecs géniaux. Je l’apprécie vraiment, tout comme Aleksander Kilde. Ils font énormément de bien au ski et ils représentent tout ce que j’adore dans notre sport. Ils sont dans la vie de groupe et dans le partage. Leurs coéquipiers, ce sont leurs potes. Ils adorent vivre leur sport avec les autres et ne sont pas du tout enfermés sur eux-mêmes. Marco Odermatt montre qu’on peut tout gagner et à côté de cela, il est très humain. C’est ce que j’ai adoré dans ma vie de skieur. Je m’entends très bien avec lui. On a partagé des moments ensemble notamment au Chili où on a fait quelques fêtes !
Le moment qui me revient avec lui, c’est ma dernière course, la descente des Finales. Il part 12, moi je suis 13. Il me fait une énorme accolade un peu avant qu’on s’élance. J’ai énormément apprécié son geste. Que ce soit lui qui le fasse, juste avant le départ, a été un moment très fort.
Tu as passé 20 ans à partager ton quotidien avec tes coéquipiers du groupe vitesse qui sont aussi tes amis…
Quand je suis rentré dans le groupe vitesse, j’étais avec des mecs super qui m’ont donné ce goût de la vie du groupe et de l’amitié : Pierre-Emmanuel Dalcin, Jean-Luc Crétier, Antoine Dénériaz, Sébastien Fournier Bidoz. Ils m’ont fait aimer cette vie de groupe et m’ont intégré en tant que jeune, avec Adri [Adrien Théaux] et David [David Poisson].
Dans ce groupe de vitesse, on est ami, on part en vacances ensemble, on fait des choses hors du ski ensemble. On est d’ailleurs plus souvent ensemble qu’avec nos compagnes et nos femmes. Cela forge des liens qui sont très forts et qu’on ne peut pas enlever.
On a partagé aussi des moments très durs, et Dieu sait qu’il y en a eu… Il y aussi des moments de joie et tout cela resserre les liens. Je suis parti 18 fois en stage au Chili et j’ai toujours apprécié de partir avec eux. On a vécu des moments extraordinaires.
Quel message souhaites-tu passer aux jeunes qui ont envie de devenir un jour des champions de ski ?
J’ai envie de leur dire que le jour où j’ai décidé de faire du ski ma vie, cela a été la meilleure décision que j’ai prise. Le sport de haut niveau, le ski en particulier, est très ingrat. Mais c’est un vecteur de vie extraordinaire. A 42 ans, j’ai vécu ma meilleure vie. Les petits moments de joie effacent tous ceux qui sont difficiles.
Je veux aussi leur dire que le ski est un sport merveilleux et qu’il faut qu’ils s’accrochent parce que cela en vaut la peine. Je leur souhaite d’être aussi amoureux du ski que je l’ai été.
Lorsque j’ai écrit mon livre « Après ski », beaucoup de champions m’ont parlé de « petite mort » pour qualifier le moment où ils mettent un terme à leur carrière…
Ce terme est un peu excessif mais il est vrai. Quand tu sors du cocoon dans lequel on t’a enfermé pendant toute ta carrière, cela peut être le grand vide. Je m’y suis préparé mentalement en sachant que cela peut être difficile. J’ai annoncé ma fin de carrière il y a un an j’ai donc eu du temps. C’est pour cela peut être que j’ai eu moins d’émotions que certains dans la zone mixte aux Finales. J’en ai eu avant et j’ai vécu ce moment de fin de carrière différemment par rapport à ce que je pensais.
Dans cette période de fin de saison où le ski s’arrête et tout le monde rentre chez soi, il y a toujours une certaine nostalgie qui s’installe et un moment de cafard. Donc je suis un peu dans le même Mood que d’habitude.
Je sais déjà qu’au moment où la saison de Coupe du monde va redémarrer à l’automne j’aurais un énorme pincement au cœur et que plus tard il y aura des moments plus difficiles.
Quelques mots sur ta reconversion…
Je me donne le temps de réfléchir. Je ne me vois pas repartir à fond dans une autre activité tout de suite. J’ai besoin de poser mon cerveau et de me reposer.
Tout de suite, c’est trop compliqué pour décider.