Face au dérèglement climatique, le monde du ski de compétition doit se réinventer. La Fédération internationale de ski et de snowboard (FIS) a lancé des initiatives prometteuses comme son plan Impact et posé quelques jalons avec notamment le lancement d’un calculateur carbone. Mais si l’idée est excellente et l’outil disponible, son usage semble encore limité pour entraîner un changement systémique.
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Une lettre ouverte pour alerter : « Notre sport est en danger »
Retour en février 2023. En plein cœur des Championnats du monde de ski alpin de Courchevel-Méribel, une prise de parole inédite a interpellé le monde du ski : une lettre ouverte, signée par près de 170 skieuses et skieurs de haut niveau, a été adressée à la FIS.
Son ouverture était sans ambiguïté : « Notre sport est en danger… ». Les signataires y formulaient des demandes précises : révision du calendrier de la Coupe du monde, limitation des déplacements intercontinentaux – la saison 2022/2023 avait compté deux allers-retours en Amérique du Nord – et report du début de saison pour mieux coller aux réalités climatiques.
Les athlètes dénonçaient alors l’incohérence écologique du modèle et réclamaient à la FIS de traduire ses engagements en mesures concrètes.
La réalité sur le terrain, deux ans plus tard…
Deux ans plus tard, les aspirations exprimées dans cette lettre ont-elles été entendues ?
Pour le début de saison, l’ouverture du cirque blanc à Sölden a désormais lieu à la fin octobre alors qu’auparavant elle se déroulait vers le 18/20 octobre. Les athlètes recommandaient sans doute un décalage plus significatif de cette date de lancement.
Le calendrier a été amélioré, mais des séquences à haute densité sont encore au programme. En décembre prochain, les spécialistes hommes de la vitesse enchaîneront trois épreuves en trois jours à Beaver Creek (deux descentes, un super-G), après des entraînements sur la Birds of Prey. Pour Marco Odermatt et quelques autres, il faudra ensuite enchaîner dès le lendemain avec deux manches de géant. C’est peut-être encore un peu too much…
Si on regarde du côté des voyages transatlantiques, le constat est mitigé. Durant la saison de la Coupe du Monde de ski alpin 2024/2025, deux déplacements transatlantiques ont encore eu lieu. Après les courses en Amérique du Nord début décembre, les Finales de la Coupe du Monde se sont tenues à Sun Valley, aux États-Unis. Les athlètes sélectionnés pour la descente n’ont même pas pu concourir : l’épreuve a été annulée en raison du vent qui ne permettait pas la tenue de la course.
Un comble quand on sait que ce sont les déplacements qui pèsent le plus sur l’empreinte carbone ! Pourtant, peu d’athlètes se sont émus de cette situation, deux ans après la lettre ouverte des Mondiaux 2023…
Mesurer pour agir
La première étape vers une réelle réduction de l’empreinte carbone des compétitions de ski passe par une meilleure capacité à la mesurer. C’est ce que prévoit clairement le plan Impact lancé par la FIS en janvier 2024. Un élément clé de ce programme consiste à « calculer et réduire son empreinte carbone directe et, en complément, à soutenir et collaborer avec les Fédérations Nationales de Ski et les organisateurs afin de réduire leurs émissions et de minimiser leur impact environnemental ».
Un exemple à suivre : les Mondiaux de Courchevel-Méribel 2023
Dès 2022, le Comité d’organisation des Mondiaux de Courchevel-Méribel s’est engagé dans cette voie. Lors des Finales de la Coupe du Monde organisées cette année-là, une évaluation rigoureuse des émissions de CO₂ a été menée avec le cabinet suisse The Shift. Résultat : 1 957 tonnes équivalent CO₂, soit 192 kg par spectateur. À titre de comparaison, cela représente l’équivalent de 1 110 vols aller-retour entre Paris et New York.
Cette première évaluation avait permis de poser des bases solides pour les Championnats du monde de février 2023, avec un objectif ambitieux : réduire de 20 % l’empreinte carbone globale de l’événement par rapport à son estimation initiale (bilan ex-ante). L’objectif ciblé était clair : passer sous la barre des 100 kg CO₂e par spectateur.
L’expérience acquise un an plus tôt a permis d’affiner les méthodes de calcul, d’accélérer la collecte de données et d’agir plus précisément sur les postes les plus émetteurs. Les résultats des Mondiaux, publiés dès avril 2023 (moins de deux mois après la fin de l’événement), témoignaient d’une amélioration significative : un total de 11 300 tonnes de CO₂e, pour une fréquentation estimée à 120 000 spectateurs. Ce qui ramène l’empreinte carbone moyenne à 94 kg par spectateur, soit une baisse de plus de 50 % par rapport à l’année précédente.
Ce bilan chiffré présentait plusieurs avantages :
- Il permettait de dimensionner l’empreinte carbone de l’événement.
- Il a prouvé que des efforts ciblés – en matière de mobilité, de gestion de l’énergie, de logistique – peuvent produire des effets concrets et mesurables.
- Il a montré la voie en matière d’ambition environnementale et Courchevel Méribel a apporté en héritage pour d’autres organisateurs l’expérience d’une gestion rigoureuse et efficace de ce sujet complexe.
Lire notre article détaillé sur le bilan carbone pour les Mondiaux de Courchevel Méribel 2023.
Un outil innovant : le CO₂ Calculator de la FIS
Dans le cadre de son plan Impact, la FIS a annoncé en octobre 2024 le lancement d’un « CO₂ Calculator » mis à disposition de toutes les fédérations nationales et organisateurs d’événements relevant de son giron. L’ambition affichée : permettre à chaque acteur de connaître précisément ses émissions de CO₂, dès la phase de conception de l’événement, afin d’intégrer les enjeux environnementaux dans les choix stratégiques à faire.
Le calculateur couvre un large spectre d’activités : énergie, transport, infarstructures sportives, logistique, alimentation… Il est accompagné de guides, de tutoriels vidéo et d’ateliers en ligne pour faciliter son adoption et son utilisation. Cette démarche représente un progrès considérable sur le plan méthodologique, en dotant les organisateurs d’un outil standardisé et potentiellement comparable d’un événement à l’autre.

Une adoption limitée et des résultats encore attendus
Interrogée en janvier 2025 par TopSkiNews, la FIS reconnaissait que de nombreux organisateurs n’avaient pas encore entamé l’utilisation de l’outil, dont l’usage reste volontaire. « Certains organisateurs sont encore en train de collecter les données, tandis que d’autres terminent leurs projets et saisissent progressivement les informations requises. Il convient de noter que la phase de collecte des données après la tenue d’un événement est l’étape la plus longue et la plus complexe », précisait la FIS. Elle prévoyait « d’avoir des résultats disponibles à la fin de la saison, une fois que toutes les données auront été soumises ». La FIS nous donnait rendez-vous en fin de saison pour un nouveau point de situation.
Dans l’intervalle, TopSkiNews a interrogé les organisateurs des Championnats du Monde de Saalbach 2025 et ceux des Finales de Sun Valley sur ce thème.
- En Autriche, le comité d’organisation de Saalbach 2025 nous a indiqué fin mars avoir obtenu la certification ISO 20121:2012, une belle réussite ! Pour l’empreinte carbone, Saalbach 2025 a testé l’hiver dernier divers outils logiciels dans ce domaine, y compris celui de la FIS. Mais n’était pas encore en mesure de communiquer des résultats chiffrés sur l’empreinte carbone des Mondiaux.
- Du côté des Finales de Sun Valley 2025, l’organisateur, également contacté par TopSkiNews, n’a pas donné suite à notre sollicitation.

Des chiffres communiqués, mais avec une portée limitée
La saison de Coupe du monde terminée, TopSkiNews a de nouveau sollicité la FIS sur ce sujet. Quelques chiffres nous ont été communiqués, valables pour l’ensemble des disciplines encadrées par la FIS : 41 utilisateurs ont déclaré 3834 activités via le calculateur CO2 correspondant à un équivalent de 6 738 tonnes de CO₂.
La FIS reconnaît que « ces chiffres, pris isolément, ne permettent pas de tirer des conclusions significatives. Les données concernent uniquement une partie des événements organisés au cours de la saison, et varient considérablement selon le type et l’envergure des événements ». Elle ajoute à titre d’exemple que « le rapport sur les émissions ne concerne que les aspects opérationnels (en excluant les spectateurs), et l’impact d’un petit événement local est très différent de celui d’une grande compétition internationale. »
Une analyse plus approfondie en cours
La FIS travaille actuellement sur une analyse plus approfondie fondée sur ces données, en suivant la même méthodologie que celle du rapport de l’année dernière (Mesure des événements – Saison 2023/24). Cette analyse inclut une pondération des événements en fonction de leur taille et de leur type, ainsi qu’une mise en correspondance avec le calendrier complet des compétitions afin de fournir une estimation plus précise et cohérente des émissions globales de CO₂.
Un outil prometteur, une dynamique qui reste à confirmer !
Le lancement du calculateur CO₂ représente une avancée incontestable. Il donne aux organisateurs les moyens de mieux connaître et comprendre leur impact carbone et d’agir de façon plus responsable. Pourtant, pour l’instant, son adoption semble restée trop partielle et les résultats encore trop peu visibles pour faire basculer le système.
À l’heure où le climat change plus vite que les pratiques, il devient urgent que la mesure de l’empreinte carbone devienne un réflexe systématique. Car l’heure dans le domaine environnemental n’est plus à la communication, mais bien à l’action — avec des engagements qui doivent devenir la norme, non l’exception.
Et si, dès la saison prochaine, chaque organisateur de courses de Coupe du Monde traçait son empreinte aussi bien que ses pistes…